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D’Andronicus à Epiménide

 D’Andronicus à Epiménide

Au chapitre 16 de la Lettre aux Romains nous lisons ceci: Saluez Andronicus et Junias, mes parents et mes compagnons de captivité : ce sont des apôtres marquants (grec: episêmoi) qui m’ont précédé dans le Christ. Rm 16, 7

• Deux nouveaux apôtres.

Qui sont Junias et Andronicus ? Des apôtres. Envoyés où et par qui? Nous ne le saurons pas. En revanche nous savons qu’il s’agit de parents de Paul. La bible de Genève qui est plus ancienne que la bible de Jérusalem, donc mieux renseignée (elle date de 1669) croit savoir qu’ils sont même des cousins de Paul:

Salüez Andronique & Junias mes coufins, & qui ont efté prifonniers avec moi, lefquels font notables entre les Apoftres, & qui ont mefmes efté devant moi en Chrift.

Comme episemoi est un hapax, on ne saura pas vraiment ce que signifie ce mot traduit par « marquants » ou « notables ». En revanche nous savons qu’ils sont des sunaichmalôtous (encore un mot grec recherché) des compagnons de captivité (prifonniers avec moi), enfin qu’ils étaient Chrétiens « dans le Christ » avant Paul. Junias et Andronicus seraient donc des shliHim (apôtres) qui ont précédé Paul. Cette information est parfaitement exacte à quelques détails près.
Junias est effectivement un apôtre célèbre de l’Ancien Testament qui a même été le modèle de Paul. Il s’appelle Jonas. Pour le midrash chrétien, Jonas était chrétien puisqu’il a reçu le davar YHVH qui vaut 52. Jonas a été envoyé à Ninive, il a d’abord voulu fuir sa mission, comme Paul, mais il a fini par l’accepter et porter la parole. Jonas est bien un parent de Paul puisque comme lui il est hébreu (‘ivri Jon 1,9). Jonas est bien un compagnon de captivité de Paul puisqu’il est lié par un vœu. Voyez Jon 2, 10. En réalité Jonas (yona, la colombe) est Israël lui-même dont la mission est de propager la parole dans le monde.

Mais qui donc serait alors Andronicus, le comparse de ce premier apôtre ? Ce nom Andronicus qui sent le midrash à plein nez, serait encore Israël mais sous les espèces de Jacob. Jacob a en effet reçu le nom d’Israël lorsqu’il a « vaincu un homme » (Gn 32,29) en y laissant sa hanche. Or Andronicus est un nom qui signifie justement vaincre un homme. Pour ce qui est de la parenté avec Paul, on n’a pas de problème avec Jacob. Jacob est bien un apôtre (envoyé) car en Gn 30,25 il demande à être un shaliaH (envoyé) lorsqu’il dit: shalHeni. Jacob est enfin, bien évidemment, un compagnon de captivité de Paul puisqu’il est aussi un assir, un lié par le vœu qu’il fait en Gn 28,20:

Jacob fit ce vœu : Si Dieu est avec moi et me garde en la route où je vais, s’il me donne du pain à manger et des habits pour me vêtir, si je reviens sain et sauf chez mon père, alors Yahvé sera mon Dieu et cette pierre que j’ai dressée comme une stèle sera une maison de Dieu, et de tout ce que tu me donneras je te payerai fidèlement la dîme.

Cette pierre ayant été « ointe » en Gn 18,18, Jacob a bien précédé Paul en matière de meshiHut (onction ou messianisme). C’est donc un apôtre « marquant ». Bien entendu l’exégèse « genre » fonce dans le panneau et voit en Junia un apôtre femelle (et, bien entendu, il n’est pas étonnant que nous ne sachions rien sur elle, puisque le texte est sexiste. Tout se tient.)

Si episêmoi est bien un hapax, le terme est quand même construit sur la racine de semeion, du signe. Logique avec lui-même, le NT fait bien état d’un « signe de Jonas ». Reste désormais au lecteur à trouver quel est le signe lié à Jacob puisque il est aussi un episêmoi. Est-ce l’échelle, l’étoile, la pierre ?

 

• Nouvelles d’Epiménide le crétois.

Dans l’épitre à Tite nous lisons ceci:

L’un d’entre eux, leur propre prophète, a dit : Crétois perpétuels menteurs, mauvaises bêtes…(Tt 1,12)

De qui et de quoi nous parle exactement ce verset ? La Bible de Jérusalem nous apprend que Paul cite ici, au moins pour le début, le poète crétois Epiménide de Cnossos (IVe siècle). Pourtant le contexte de ce verset nous apprend que Paul parle ici des Juifs:

Nombreux sont en effet les esprits rebelles, les vains discoureurs, les séducteurs, surtout chez les circoncis. Il faut leur fermer la bouche; ces gens-là bouleversent des familles entières, enseignant pour de scandaleux profits ce qui ne se doit pas. (Tt 1, 10-11)

Vous pourriez penser dans un mouvement de précipitation que Paul pensait qu’Epiménide était juif. Ou bien que Paul se trompe, ou encore que les présentateurs de Bible disent n’importe quoi. Ce serait une réaction très exagérée. Il est plus constructif d’essayer de comprendre comment Paul en est arrivé à parler de Crète et de menteurs juifs. Eh bien, croyez-le ou non, il a trouvé cette histoire de menteurs et (phonétiquement) de crétois chez Isaïe, comme souvent.

Vous avez dit : Nous avons tranché (caratnu) une alliance avec la mort, avec le shéol nous avons fait un pacte. Quant au fléau menaçant, il passera sans nous atteindre, car nous avons fait du mensonge (kazav) notre refuge, et dans la fausseté nous nous sommes cachés (Is 28,15)

Entendez-vous dans ces parages mentir ces féroces crétois ? Mais peut-être est-ce ici simplement un hasard ? Il nous faudrait peut-être une autre conjonction de la Crète et des menteries juives dans la prophétie.

Éphraïm se repaît de vent, tout le jour il poursuit le vent d’est; il multiplie mensonge (kazav) et fausseté : on conclut (yikrotu) alliance avec Assur, on porte de l’huile à l’Égypte (Os 12,2)

– Mais Paul dit que ces prophètes traitent ces crétois de bêtes malfaisantes?

Ainsi parle le Seigneur Yahvé : Bien que j’envoie mes quatre fléaux terribles, épée, famine, bêtes féroces et peste, vers Jérusalem pour en retrancher (hakrit) bêtes et gens ( Ez 14 21)

Je trancherai (ve-karati) pour eux une alliance, en ce jour-là, avec les bêtes des champs, avec les oiseaux du ciel et les reptiles du sol; l’arc, l’épée, la guerre, je les briserai et les bannirai du pays, et eux, je les ferai reposer en sécurité. (Os 2, 20)

Pour une autre analyse sur l’origine des « crétois » voyez aussi l’article Régime Crétois sur ce site

• Epènète et Stéphanas, prémices de l’Achaïe.

Voici deux versets qui sont en apparence distincts.

saluez aussi l’Église qui se réunit chez eux. Saluez mon cher Épénète, les prémices que l’Asie (aparchê tês asias) a offertes au Christ (Rm 16, 5)

Encore une recommandation, frères. Vous savez que Stéphanas et les siens sont les prémices de l’Achaïe (1Co 16,15)

L’un parle de l’Asie et l’autre de l’Achaïe. Cependant si nous lisons ces versets dans la version araméenne des Evangiles (la peshitta) alors ils commencent à se ressembler curieusement et même à converger au point de provoquer un fort strabisme. En effet, Epénète est apnTws et Stéphanas asTpna. Ces personnages sont des aparchê, des « prémices », et en hébreu des reshit. La peshitta est tout à fait d’accord là dessus, elle en fait aussi des reshit, mais là où elle n’est plus du tout d’accord, la peshitta, c’est que pour elle, les deux personnages sont les prémices de l’akia. Exit l’Asie. Il ne nous reste donc plus que l’Achaïe. Curieusement , alors que la Grèce est souvent nommée dans la Bible, elle n’est jamais nommée Achaïe en dehors du Nouveau Testament. Or nous avons établi ailleurs que ce nom de lieu sonne comme aH (frère en hébreu) ce pourquoi on a toujours un ou deux frères qui voltigent autour de l’Achaïe. Pour corser le tout, on trouve même un verset où tout notre petit monde se retrouve réuni:

Je suis heureux de la visite de Stéphanas, de Fortunatus et d’Achaïcus, qui ont suppléé à votre absence (litt. rempli votre manque) (1Co 16, 17) (husterêma houtoi aneplêrôsan )

Ce n’est pas le seul verset où il est question de « remplir un manque ». Cette expression qui provient du « Testament de Benjamin » devient chez Paul (qui est de cette tribu) un élément du cahier des charges:

Nuit et jour nous lui demandons… de pouvoir compléter ce qui manque encore à votre foi (1Th 3,10)
je complète ce qui manque aux tribulations du Christ en ma chair pour son Corps.(Col 1, 24)

Dans l’Apologie de Paul nous faisions l’hypothèse que la course de Paul dans le monde méditerranéen était un midrash d’accomplissement centré sur le rôle du Grand Prêtre eschatologique. Puisque le Deutéronome (la fin de la loi et la loi de la fin) enjoint au fidèle d’apporter au prêtre de cette époque des prémices, Paul parcourt le monde pour recueillir ces prémices et ces « dons ».

Il existe un terme de l’hébreu tardif qui ressemble très fort au nom de nos personnages et qui est apantorin אפנטורין, mais ce terme signifie pierres précieuses. Voilà qui ne nous avance pas beaucoup sauf si nous le relions au rituel de la grande prêtrise. Dans ce rituel, il y a les vêtements du Grand Prêtre et notamment le pectoral ainsi que les pierres qui ornaient les Urim et les Tumim. Dans la tradition juive, le peuple et les nessiim les phylarques, firent assaut de générosité dans les offrandes au Tabernacle et il n’est pas étonnant que le midrash paulinien se soit emparé de cet élément. Ce sont les Phylarques qui apportent les pierres:

Les chefs apportèrent les pierres de cornaline et les pierres à enchâsser (miluim, racine de remplir, accomplir) dans l’éphod et le pectoral, (Ex 35,27)

Selon la bible, les noms des douze tribus étaient gravés sur chaque pierre du pectoral ainsi que sur la couronne du Grand Prêtre. Et c’est cet élément qui expliquerait les termes aH et Achaïe. Les frères sont tout simplement les 12 fils de Jacob. Et Paul qui édifie l’Eglise (qahal) unifie midrashiquement Israël en réunissant, comme Moïse (va-yaqhel), les frères des 12 Tribus. Paul est ici Moïse, et Cephas est Aaron. Comme les noms des frères devaient être gravés (pituHé Hotam) dans la pierre, Paul dit à ses auditeurs: c’est vous qui êtes le sceau (gr: sphargis, héb: Hotam) de mon apostolat. 1Co 9,2. On retrouvera cette « ouverture des Sceaux » (pituHé Hotam) dans l’Apocalypse.

Le fait que nous ayons ici un stefanas renforce le lien avec le sacerdoce. Stefanas serait aussi une élaboration autour du mot matsnefet, la tiare du pontife. C’est pourquoi le thème de la couronne est si présent chez Paul.

Ainsi donc, mes frères … ma joie et ma couronne (Ph 4,1)

Quelle est en effet notre espérance, notre joie, la couronne dont nous serons fiers, si ce n’est vous, en présence de notre Seigneur Jésus lors de son Avènement? 1Th 2,19

De même l’athlète ne reçoit la couronne que s’il a lutté selon les règles. 2Tm 2,5

Prêtre du Temple eschatologique à construire, Paul incite le peuple à faire des dons comme Moïse, et il recueille les prémices et les dons en pierres précieuses: verbe episkepsomai qui traduit l’hébreu paqad et qui a donné Evêque. La preuve qu’il s’agit d’eschatologie, c’est que l’on retrouve déjà ces pierres chez Ezéchiel qui lui-même les fait remonter très loin:

tu étais en Éden, au jardin de Dieu. Toutes sortes de pierres précieuses formaient ton manteau : sardoine, topaze, diamant, chrysolithe, onyx, jaspe, saphir, escarboucle, émeraude, d’or étaient travaillés tes disques et tes pendeloques; tout cela fut préparé au jour de ta création. Ez 28, 13

Grâce au Pectoral, le Grand Prêtre peut consulter Dieu (derosh élohim). Pas étonnant que ce thème ait donné matière à un midrash. Mais comme le midrash est devenu très tôt incompréhensible, on a préféré à tout hasard garder l’objet lui-même. Le Pectoral (Hoshen mishpat en hébreu) est devenu un logeion en grec, et donc très logiquement un rational en latin. Au moyen âge, on portait semble-t-il à côté du rational d’étoffe, un pectoral de métal directement imité du pectoral du Grand prêtre. Guillaume de Poitiers (né vers 1020) le mentionne dans son Histoire de Guillaume le Conquérant ; lors de la conquête de l’Angleterre, il décrit l’habillement d’Hugues, évêque de Lisieux, et énonce avec précision qu’il portait sur ses habits ce rational.

• Petite idée sur Timothée.

Timothée est un adjoint de Paul. Plus exactement, il est à la fois un fils et un frère (aH). Si notre hypothèse sur une élaboration paulinienne autour du mot aH est correcte alors Timothée est l’un des douze fils de Jacob. Et comme Timothèe a un rôle prééminent auprès de Paul, Timothée serait Ruben. Mais sur quoi fonder une hypothèse aussi ébouriffante ? D’abord sur le fait que Timothée est un fils (ben) :

C’est pour cela même que je vous ai envoyé Timothée, qui est mon fils bien-aimé (1Co 4,17)

et ensuite qu’il est lié à la crainte, sa mère craignait dieu (Ac 16,1) mais lui, ironie du midrash, est lié à l’absence de crainte:

Si Timothée arrive, veillez à ce qu’il soit sans crainte au milieu de vous; car il travaille comme moi à l’œuvre du Seigneur (1Co 16, 10)

Un fils (ben) avec ou sans crainte (yir’a) peut déjà faire un bon reu-ben. Timothée est aussi un prémice, comme tous les fils de Jacob. Mais en tant que Ruben, il l’est tout particulièrement en tant qu’aîné (bekhor) or prémice se dit bikur, mais surtout à cause du verset:

Ruben, tu es mon premier-né, ma vigueur, les prémices de ma virilité, comble de fierté et comble de force (Gn 49,3)

Ruben est lié à la force, il sera donc lié au combat. Or curieusement Timothée est aussi lié au combat:

Tel est l’avertissement que je t’adresse, Timothée, mon enfant, en accord avec les prophéties jadis prononcées sur toi, afin que, pénétré de celles-ci, tu combattes le bon combat (1Tm 1,18)

Mais tout cela ne serait que pure spéculation si notre hypothèse midrashique n’était confirmée par un autre midrash beaucoup plus apprécié des historiens et qui tient dans les livres des Maccabées. On trouve dans ces livres un Timothée chef de guerre syrien qui est battu par un Judas. Curieusement ce Timothée meurt dans une citerne.

Ils égorgèrent Timothée, qui s’était caché dans une citerne, et avec lui son frère Chéréas et Apollophane (2M 10, 37)

Or c’est dans une citerne que Ruben avait placé Joseph:

Ruben leur dit : Ne répandez pas le sang! Jetez-le dans cette citerne du désert, mais ne portez pas la main (cheira) sur lui! C’était pour le sauver de leurs mains (cheirôn) et le ramener à son père.(Gn 37,22)

Paul n’a donc pas élaboré de midrash sur Timothée, il l’a trouvé déjà constitué dans les deux livres des Maccabées, livres où déjà un Timothée voisine tranquillement, comme le Timothée de Paul, avec des personnages comme Sosipater, Jason et Lucius. (Cf. Timothée, mon coopérateur, vous salue, ainsi que Lucius, Jason et Sosipatros, mes parents. Rm 16, 20)

 

• La main de Juda.

Dans cette analyse de Timothée nous citons un verset des Maccabées dans lequel Timothée est lié à deux personnages : Chéréas et Judas. Pourquoi ce lien entre un nom qui sonne comme la main et Juda ? Notre hypothèse est que Chéréas est un nom midrashique formé sur la main (hébreu : yad, grec: cheira) car Juda est midrashiquement lié à la main:

Juda, toi, tes frères te loueront, ta main est sur la nuque de tes ennemis (yéhuda …yodukha…yadkha)
Je vais lever la main contre Juda (…yadi ‘al yéhuda) (So 1, 4)

Ce lien se retrouvera tout naturellement dans le midrash évangélique:

Il répondit : Quelqu’un qui a plongé avec moi la main dans le plat, voilà celui qui va me livrer! (Mt 26, 23)
Il leur dit : C’est l’un des Douze, qui plonge avec moi la main dans le même plat. (Mc 14, 20)
Cependant, voici que la main de celui qui me livre est avec moi sur la table. (Lc 22, 21)

Judas étant Thomas, ce dernier sera aussi associé à la main.

Puis il dit à Thomas : Porte ton doigt ici : voici mes mains; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais croyant. (Jn 20, 27)

• Hypothèse pour le terme « Colossiens »

La lettre aux Colossiens contient ce verset qui fait hurler tous ceux qui prennent les Epitres pour un livre d’histoire:

Esclaves, obéissez en tout à vos maîtres d’ici-bas….(Col 3, 22)

Comment est-il possible de formuler des choses aussi réactionnaires s’étranglent les exégètes des Gender Studies. Paul ferait l’éloge (qls, קלוס) des esclaves, de ceux qui reçoivent des ordres, des commandements (קלווסין). Mais ce n’est pas aussi simple car cette racine qls a des sens ambivalents:
קלסה : Dédain, dérision; קלוסנטרין : bouffons, moqueurs, plaisantins. Alors finalement les Colossiens, bons ou mauvais ? La réponse n’est pas si facile car le genre du discours paulinien est l’admonestation. Félicitations et avertissements. Pour donner une idée de ce qu’a pu être l’élaboration paulinienne, voici un passage du midrash Rabba sur l’Exode qui nous parle lui aussi en quelque sorte de « colossiens ».
Exode Raba 43,8: Parabole d’un homme qui achète un esclave. Il demande au vendeur : Cet homme que tu vends est-il de confiance ou douteux?

Les termes utilisés par ce midrash sont des emprunts au grec, mais déformés: קאלוחסין et קאקגריסין Les dictionnaires nous apprennent en effet qu’ils sont formés sur des adjectifs grecs kalos (bon) et kakos (mauvais). KaloHasin serait une déformation de kalo-prasin (vente avec garantie) tandis que kakogrisin serait une déformation de kako-prasin (vente sans garantie). kaloHasin serait presque un candidat pour l’origine du terme « Colossiens », vous ne trouvez pas ? D’autant que Col 1,7 fait mention d’un certain Epaphras, nom qui laisse entendre le son pras de la vente. Epaphras est en effet un esclave (doulos) et de plus il est fidèle. Il pourrait donc fort bien être un kaloHasin.

• Juste Tite

Qui est Tite ? Les textes du Nouveau Testament nous le disent clairement: c’est Joseph, le fils de Jacob, auquel la tradition juive associe le titre de Juste.

Joseph dit Barsabbas, surnommé Justus (Ac 1, 23)

bar saba traduit « fils de zaqen », or Jacob est dit zaqen. (Nous avons un vieux père, ab zaqen, Gn 44, 20). Juste-Tite est donc associé à la prière:

Alors, se retirant de là, Paul se rendit chez un certain Justus (Titiou Ioustou) homme adorant Dieu, dont la maison était contiguë à la synagogue (Ac 18,7)

Comme Jacob et ses fils, Paul semble d’ailleurs déplorer la perte de Joseph dans des versets comme:

mon esprit n’eut point de repos, parce que je ne trouvai pas Tite, mon frère (2Co 2, 13)
Joseph est le prototype du messie, c’est pourquoi nous trouvons des passages comme:

Mais Celui qui console les humiliés, Dieu, nous a consolés par l’arrivée de Tite (2Co 7,6)

Voilà ce qui nous a consolés. A cette consolation personnelle s’est ajoutée une joie bien plus grande encore, celle de voir la joie de Tite, dont l’esprit a reçu apaisement de vous tous ( 2Co 7,13)

Joseph se caractèrise par son zêle, c’est pourquoi Tite hérite de cet attribut:

Grâces soient à Dieu, qui met au cœur de Tite le même empressement pour vous (2Co 8,16)

Le zêle et l’empressement de Joseph ressortent par exemple de ce commentaire midrashique qui ouvre le Midrash Rabba sur le Cantique des Cantiques:

Voici ce que dit l’Écriture par la bouche de Salomon : Vois-tu un homme preste à sa besogne ? Au service des rois il se tiendra. Il ne se tiendra pas au service des gens obscurs (Pr 22, 29). Vois-tu un homme preste à sa besogne (melakha) : ce verset se réfère à Joseph, dont il est écrit : Joseph vint à la maison pour faire son service (melakhto) (Gn 39, 11). R. Yéhuda et R. NéHémia discutent ce point. R. Yéhuda dit : Ce jour, où Joseph entra chez lui, était un jour où l’on offrait des sacrifices aux idoles, c’était un jour où l’on donnait des représentations théâtrales. R. NéHémia dit : c’était un jour où l’on donnait des représentations théâtrales en l’honneur du dieu-Nil. Tout le monde s’y pressait, mais Joseph, lui, entra chez lui pour travailler, pour régler les affaires de son maître.

On oppose ici les occupations futiles ou licencieuses du vulgaire à celles du Sage qui s’occupe des «affaires de son maître». Le Cantique semble être un poème futile, voire érotique, il s’agit de montrer le caractère inspiré de ce texte. Joseph est aussi associé à la chasteté à cause de sa résistance à la femme de Potiphar. Or l’Epître apocryphe du pseudo-Tite porte sur la chasteté. Quant à la lettre canonique, elle traite aussi de la chasteté en 2,5.

Notre ouverture de Cantique Rabba se poursuit ainsi:

R. PhinHas a dit au nom de R. Samuel b. Abba : tout esclave qui sert son maître comme il convient, sera en fin de compte affranchi. D’où l’apprenons-nous ? De Joseph. Parce qu’il servit correctement son maître, il obtint sa liberté. Par conséquent : au service des rois il se tiendra, le roi étant ici Pharaon, comme il est dit : Alors Pharaon fit appeler Joseph, et on l’amena en hâte de la prison (Gn 41, 14). Il ne se tiendra pas au service des gens obscurs : l’homme obscur est Potiphar, dont le Saint béni soit-il obscurcit les yeux en le rendant eunuque.

Ce qui nous aide peut-être à mieux comprendre Tt 2,9-10:

Que les esclaves soient soumis en tout à leurs maîtres, cherchant à leur donner satisfaction, évitant de les contredire, ne commettant aucune indélicatesse, se montrant au contraire d’une parfaite fidélité

• Tychique pharisien.

Paul est un pharisien. Mais que viennent faire autour de lui ces personnages aux noms grecs qui sont des frères et parfois des fils ? Par exemple Tychique est-il aussi un pharisien ? Notre hypothèse est que nous avons affaire ici à une élaboration, à un midrash sur le rassemblement des fils de Jacob et donc des 12 frères. Dans une autre élaboration du même type, celle des douze apôtres de Jésus on a également essayé de faire entendre ce son (aH, frère):

Simon, appelé Pierre, et André, son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère

Si bien qu’on ne sait plus à la fin qui est frère de qui, et que les Bibles passent leur temps à nous dire que tel Jacques ne doit « absolument pas » être confondu avec Jacques « frère du Seigneur… ». Dans le corpus paulinien, Paul représente Israël qui doit se rassembler. Paul est donc aussi bien Moïse rassemblant les 12 Tribus que Jacob réunissant ses fils, et c’est pourquoi Paul mentionne une bonne douzaine de frères.

Appolos, notre frère (1Co 16, 12)
Timothée, le frère (2Co 1,1)
Tite, mon frere (2Co 2, 13)
Tychique, ce frère (Ep 6, 21)
Epaphrodite, ce frère (2, 25)
Sosthène, le frère (1Co 1,1)
Archippe, notre frère de combat (Ph 1, 2)
Onésime, le frère (Col 4,9)
Silvain, frère fidéle (1P 5, 12)
Quartus, notre frère (Rm 16, 23)
Comme Jacob avait aussi une fille Dina, Paul ne mentionne pas seulement la douzaine de frères mais aussi une sœur:

Apphia notre sœur (Philémon 1, 2)

Saül a en effet dans ses ancêtres quelqu’un de ce nom: Il y avait un homme de Benjamin qui s’appelait Qish,…fils d’Aphiah (1S 9,1). Si Paul est aussi Jacob, le midrash paulinien nous a forcément laissé un indice de cette élaboration. Nous le trouvons peut-être en Romains 16, 13:

Saluez Rufus et sa mère qui est aussi la mienne.

Tiens, Paul avait donc une mère et le NT nous aurait caché son nom alors qu’il nous donne le nom de la mère de Timothèe et même de sa grand mère. Paul aurait donc un frère qui s’appelait Rufus et on nous le cachait. En réalité Rufus (en latin: le roux) serait Esaü qui est bien le frère de Jacob. Esaü a été lui-même « élaboré » en Edom (Rome) celle qui écrase par l’impôt, phoros, qui assonne avec Rufus.

Qui est Tychique dans la fratrie ? Ce nom signifie chanceux (du grec tuche la chance, la fortune). D’autres compagnons de Paul se nomment Fortunatus, Eutyque ou Syntyche. Il faut donc chercher du coté de cette signification. Un seul fils de Jacob est lié à la chance, c’est Gad. C’est sa mère Léa qui nous l’apprend.

Léa dit : Par bonne fortune! et elle l’appela Gad (Gn 30, 11)

Tychique est relié à des versets comme ceux-ci:

Je désire que vous sachiez, vous aussi, où j’en suis et ce que je deviens; vous serez informés de tout par Tychique, ce frère bien-aimé qui m’est un fidèle assistant dans le Seigneur. Je vous l’envoie tout exprès pour vous donner de nos nouvelles et réconforter vos cœurs. Ep 6, 21
Pour tout ce qui me concerne, Tychique vous informera, ce frère bien-aimé qui m’est un fidèle assistant et compagnon de service …. (Col 4,7)

Tychique dans ces versets est celui qui doit informer. Nous ne savons pas ce que Tychique raconte, mais ce que nous pourrions éventuellement entendre ici, c’est qu’il est du coté de la hagada (raconter, faire récit). Or ce terme de hagada sonne vaguement comme Gad.

 

• Epaphrodite.

Comme Fortunatus, Epaphrodite serait aussi Gad. Nous le savons par un auteur latin qui rapporte que l’Empereur Sylla se faisait appeler Félix nom qu’il traduisait par Épaphroditos, « favorisé par Vénus », « faisant ainsi allusion au coup de Vénus qui, dans le jeu de dés, était le coup heureux ». Notez que dans les Actes, Festus succéde à Félix (Ac 24, 27) or Festus traduit Hagi. Heureux hasard: Hagi est un fils de Gad (Gn 46,16) et donc son successeur. Pourquoi tant de « collaborateurs » de Paul ont-ils un nom qui renvoie à Gad ? C’est que Gad emporte une valeur eschatologique particulière du fait que le prophète Elie était de la Tribu de Gad. Voici une hypothèse: le midrash paulinien ne ferait ici qu’accomplir en le prolongeant le midrash juif qui faisait d’Elie un migdal gad (TanHuma sur Exode). Ce terme peut signifier agrandir ou multiplier Gad. C’est ce que ferait le texte en multipliant les noms gadiques. Un peu acrobatique, mais il faut bien expliquer cette prolifération de Gad. Mais si vous avez mieux, on est preneur.

• Paul en Elie.

Paul ressuscite un jeune homme nommé Eutyque. Nous avons désormais une petite idée sur la raison de la présence dans les Actes de ce nom qui évoque lui-aussi la chance. Il faut signaler qu’il s’agit d’une reprise intégrale du miracle d’Elie à Sarepta.

Il y avait bon nombre de lampes dans la chambre haute où nous étions réunis.Un adolescent, du nom d’Eutyque, qui était assis sur le bord de la fenêtre, se laissa gagner par un profond sommeil, pendant que Paul discourait toujours. Entraîné par le sommeil, il tomba du troisième étage en bas. On le releva mort. Ac 20,9 Paul descendit, se pencha sur lui, le prit dans ses bras et dit : Ne vous agitez donc pas : son âme est en lui. (Ac 20, 8)

Après ces événements, il arriva que le fils de la maîtresse de maison tomba malade , et sa maladie fut si violente qu’enfin il expira . Il lui dit : Donne-moi ton fils ; il l’enleva de son sein, le monta dans la chambre haute où il habitait et le coucha sur son lit. Yahvé exauça l’appel d’Élie, l’âme de l’enfant revint en lui et il reprit vie. Élie le prit, le descendit de la chambre haute dans la maison et le remit à sa mère; et Élie dit : Voici, ton fils est vivant. (1R 17,17)

Actes 20,8 présenterait Paul en Elie. Paul est en effet aussi Elie et pour cela connaît une ascension dans les ‘arabot (et non pas en Arabie). Le texte des Actes reprend en effet tous les détails de l’histoire d’Elie: La chambre haute (‘aliya) mais aussi les lampes (lampadas traduit l’hébreu lapid) Siracide 48,1 : Alors le prophète Élie se leva comme un feu, sa parole brûlait comme une torche.

La présence d’un personnage nommé chance dans Paul est une confirmation de ce que Paul est midrashiquement Elie, qui était lui-même de la tribu de Gad. Accessoirement, cela explique le terme héraut (kerux) que Paul s’attribue, car Elie est le héraut par excellence.

• Pourquoi tant de noms gréco-romains dans un midrash?

La présence de nombreux noms à consonance gréco-romaine semble plaider pour l’historicité du corpus paulinien. Pourtant elle est parfaitement compatible avec la thèse du sens purement eschatologique et anhistorique de ces textes. Voici un passage midrashique de Lévitique Rabba qui explique fort bien cela:

Israël a été délivré d’Égypte à cause de quatre choses : ils n’ont pas changé leurs noms, ils n’ont pas changé leur langue. Ils n’ont pas versé dans la médisance, et nul d’entre eux n’eut d’unions illicites. Ils n’ont pas changé leur nom : Ruben et Siméon à leur arrivée, Ruben et Siméon à leur départ. Ils n’ont pas appelé Juda Rufus, ni Ruben Julianus, ni Joseph Justus, ni Benjamin Alexandre.( Lv R 32,5)

La présence de noms comme Justus dans les Epitres pourrait tout simplement signifier que nous sommes parvenus au Comble. Les Juifs abandonnent leur identité et contrairement à l’épisode Egyptien, ils ne seront pas sauvés par le mérite d’avoir gardé leur identité. Seul le messie peut maintenant les sauver. Noter que ce midrash semble confirmer notre hypothèse selon laquelle Justus est Joseph.

• Eraste.

Eraste est un collègue de Paul dont le nom joue avec l’hébreu otsar qui signifie trésor. Or Eraste est justement trésorier de la ville (Rm 16, 23)

• Recensement ?

Parmi les collaborateurs de Paul nous sommes étonnés de compter un Secundus (Ac 20, 4), puis un Tertius (Rm 16, 22) puis un Quartus au verset suivant. Il nous manque un Quintus, mais il est activement recherché. En revanche on aurait un Sextus déguisé en Lin (2Tm 4, 21). Le lin se dit en effet shesh en hébreu soit 6. On a bien l’impression que Paul compte pour accomplir les différents recensements qui jalonnent le livre des Nombres.

• Barnabé, B A BA du midrash.

Ce prénom charmant, bien qu’un peu désuet, signifierait selon Ac 4,36 homme de l’exhortation (ou du réconfort) :

Joseph, surnommé par les apôtres Barnabé (ce qui veut dire fils d’encouragement), lévite originaire de Chypre,

Par quel miracle le texte des Actes a abouti à ce résultat, c’est ce que l’on va essayer ici de vous expliquer. En effet, on ne voit pas bien le rapport entre barnabas et huios paraklêseôs (homme du réconfort). Ce terme paraklêseôs intervient tel quel en Isaïe 66,11:

afin que vous soyez allaités et rassasiés par son sein consolateur (paraklêseôs), afin que vous suciez avec délices sa mamelle plantureuse.

• Sein, champ, shadaï.

En hébreu ce sein c’est un shad (שד). Il se trouve que, justement, Barnabé possédait un champ (Ac 4, 37) lequel champ se dit shadé (שדה) en hébreu. On sait que l’item « vendre un champ » signifie l’acceptation du messie. Mais cette élaboration ici est un peu plus complexe. Barnabé accepte que le sein consolateur soit accordé à tout le monde. Cette « générosité » de Barnabé s’oppose à l’égoïsme d’Ananie et Saphire qui voudraient bien garder la consolation messianique pour eux. Vous avez compris qu’il s’agit des Juifs qui s’opposent (une fois de plus ? Eh oui!) à l’entrée des païens et donc à l’arrivée du messie. Accessoirement, si notre hypothèse est exacte, elle ruine l’idée d’une « mise en commun des biens » historique et du soi-disant communisme du christianisme primitif.

• Les païens, futurs lévites.

Isaïe prophétise l’entrée des païens à la fin des temps et leur devenir-lévite:

et de toutes les nations ils ramèneront tous vos frères en offrande à Yahvé, sur des chevaux, en char, en litière, sur des mulets et des chameaux, à ma montagne sainte, Jérusalem, dit Yahvé, comme les Israélites apportent les offrandes à la Maison de Yahvé dans des vases purs. Et de certains d’entre eux je me ferai des prêtres, des lévites, dit Yahvé. Is 66 20-21

Ce thème est repris un nombre incalculable de fois par le midrash.

« Jéthro entendit ». Voici ce qui est écrit: Le prosélyte ne couchera pas dehors, à l’invité j’ouvrirai mes portes (Jb 31, 32). Si un prosélyte­ épouse une fille d’Israël et s’il engendre une fille; et si, par la suite sa fille épouse un cohen authentique et donne naissance à un fils, ce fils est appelé à devenir le grand prêtre; il est destiné à apporter des offrandes sur l’autel, si bien que le prosélyte se trouve à l’intérieur alors que le Lévite est dehors . Voilà pourquoi il est écrit: Le prosélyte ne couchera pas dehors.

Aquila, le Prosélyte, entra chez Rabbi Eliézer. Il lui dit: est-ce que toute la gloire du prosélyte se réduit à ce verset: « et il aime l’étranger, auquel il donne pain et vêtement »? (Dt 10, 18). Rabbi Eliézer lui répondit (en colère): Est-ce peu de chose à tes yeux, le fait que, ce pour quoi nos aïeux se sont épuisés, il suffit que le prosélyte arrive et on le lui offre sur un plateau? Il entra alors chez Rabbi Yehoshu’a. Celui-ci le tranquillisa par ces paroles: Le pain, c’est la Tora, car il est écrit: « Venez, mangez de mon pain » (Pr 9, 5). Le vêtement, c’est le Talit. Quand un homme mérite la Tora, il mérite le Talit. Et en outre ils marient leurs filles à des cohanim et leurs fils deviennent grands prêtres et ils sacrifient des holocaustes sur l’autel. Le pain, c’est le pain de présentation (leHem panim) et le vêtement, ce sont les vêtements de la prêtrise. Ils dirent: si Rabbi Yehoshu’a n’avait pas fait preuve de longanimité avec Aquila, celui-ci serait revenu à ses origines. Et on cita à son propos: Mieux vaut un homme longanime qu’un héros (Pr 16, 32).
On trouve ici déjà le thème du « mécontentement » des Juifs de souche par rapport au traitement préférentiel des prosélytes, qui sont en quelque sorte « derniers arrivés-premiers servis » (version évangélique: les derniers sont les premiers) et qui servira de fondement à la narration Ananie-Saphire. À nouveau, nous constatons que les Evangiles prolongent le midrash juif avec une remarquable constance.

C’est ce type de midrash que prolonge le personnage de Barnabé. Ce nom qui n’a pas de précédent dans la Bible renvoie donc bien à la prophétie, il est bien bar nebua: fils de la prophétie. Littéralement engendré par la prophétie d’Isaïe. Il est bien un étranger (« de Chypre ») devenu Lévite par acceptation de l’idée messianique. Son entrée même, parce qu’elle équivaut à l’avènement du messie, est d’ailleurs expiation (kapara).

Une telle élaboration relative à l’invention du nom de Barnabé peut vous sembler improbable, sachez pourtant que la tradition juive fait bien mieux. Et pas seulement dans le Midrash. Dans le Traité Avot, on nous parle de deux tannaim dont les noms sont tout sauf vraisemblables : ben Bag-Bag et ben Hé-Hé. La Jewish Encyclopédia croit savoir que ces personnages sont, comme Barnabé, des fils de convertis. bag serait l’acronyme de « ben ger » (fils de prosélyte). Quant à Hé il a la même valeur que b(a)g soit 5. La Lettre serait donc aussi liée à la conversion. On sait en effet que les deux personnages qui sont liés à la conversion des païens sont aussi ceux qui ont reçu cette lettre dans leur nom, il s’agit d’Abraham et de Sarah. Nous vous le disions: le B A BA du midrash !

• Onésime et Philémon.

Dans la courte lettre à Philémon qui tient en quelques versets, Paul demande à Philémon à la fois de reprendre Onésime, et de bien vouloir le lui renvoyer. Cette apparente contradiction a été interprétée comme la marque d’une grande complexité de sentiments délicats et généreux. Même si le texte n’en fait pas état, les commentateurs sont certains qu’il s’agit là d’une histoire d’esclave fugitif, dont Paul demande l’affranchissement. Que vient faire ce billet dans le canon chrétien ?
En suivant les sonorités du texte on peut avancer d’autres hypothèses.
Onésime est un fils de Paul qu’il a engendré « dans les liens ». Or il existe un personnage biblique qui est engendré « dans les liens »: c’est Benjamin.

Au moment de rendre l’âme, car elle se mourait, elle le nomma Ben-Oni, mais son père l’appela Benjamin (Gn 35,18)

Rachel est be-Heble (dans les douleurs ou « liens » de l’enfantement). Elle va d’ailleurs en mourir. La sage femme lui annonce qu’elle va avoir un ben (fils ou messie, בחבלי vaut 52, valence messianique) mais Rachel souffre tellement qu’elle nomme ce fils ben oni (fils de ma douleur) nom que Jacob s’empresse de renommer Benjamin. Cet oni sonne bien avec Onésime. Les douleurs de l’exil, et surtout celles de l’enfantement messianique sont utiles (sens de onesimos). Telle est, entre autres, la pédagogie de notre texte. Pour le midrash chrétien, les Juifs sont persuadés que la naissance du messie va tuer la mère (le peuple juif). C’est cela qu’ils lisent dans le passage relatif à Rachel: la mère ne sera jamais capable d’aller jusqu’au bout de l’enfantement messianique, de la délivrance. Alors que Jacob, lui, y croit.

Selon le texte de Paul, il serait bon que Philémon renvoie Onésime de son plein gré, et non contraint. Or contraint se dit ones en hébreu. Encore un terme qui sonne comme Onésime. Un peu trop. Cette hypothèse est cohérente avec l’idée que Paul est midrashiquement Jacob. La lettre à Philémon serait un fragment midrashique par lequel Jacob/Paul demande à Joseph de lui rendre Benjamin. Jacob en effet ne voulait pas laisser partir Benjamin:

Quant à Benjamin, le frère de Joseph, Jacob ne l’envoya pas avec les autres : Il ne faut pas, se disait-il, qu’il lui arrive malheur (ason) Gn 42,4

Le terme hébreu ason est un hapax. Il assone, c’est le cas de le dire, avec ones dont il est l’anagramme. Cette élaboration expliquerait le vocabulaire de notre Lettre: Onésime est un esclave et un frère, tout comme Benjamin est un frère de Joseph, mais aussi son esclave (Gn 44, 10 et 16-17) d’où aussi la reprise des entrailles de Joseph (Gn 43, 30: Et Joseph se hâta de sortir, car ses entrailles s’étaient émues pour son frère). Reprise qui se déploie dans cette élégante expression paulinienne « soulage mes entrailles » (grec de synagogue : splagchna Phm 1, 20). En effet Jacob dépérit sans Benjamin:

L’enfant ne peut pas quitter son père; s’il quitte son père, celui-ci en mourra. (Gn 44, 22)

Jacob craint, si Benjamin ne revient pas, de descendre vivant au Shéol :

dès qu’il verra que l’enfant n’est pas avec nous, il mourra, et tes serviteurs auront fait descendre dans l’affliction les cheveux blancs de ton serviteur, notre père, au shéol (Gn 44, 31)

On comprend mieux pourquoi Paul se présente ici comme vieux (zaqen) au grand dam des historiens. C’est qu’il est Jacob, nommé zaqen. Etant de la tribu de Benjamin (en tant que Saül) Paul se préoccupe de Benjamin. Toujours en tant que Saül/shéol, il est concerné par cette descente au shéol. D’où la requête de Paul à Philémon. C’est sans doute un hasard, mais en hébreu tardif requête se dit anesioma אנסיומא. Encore un terme qui sonne comme Onésime. On comprend mieux aussi pourquoi Paul annonce sa prochaine venue: « prépare moi un gîte ». Jacob rejoint en effet Joseph en Egypte faisant ainsi débuter l’Exil dont nul ne sait combien de temps il durera. Notez que pour le midrash, l’Egypte fut une auberge pour Israël. La présence des saints dans Philémon proviendrait peut-être d’un verset de Daniel (Dn 8,13) qui contient aussi le hapax palmoni, terme tardif qui signifie « untel » et dont le grec n’a su que faire, il l’a donc translittéré en phelmouni comme s’il s’agissait d’un nom propre. Philémon serait le calque de ce nom. Comme ce verset de Daniel pose une question qui porte sur le comput des temps de l’exil (jusques à quand ?…) le terme banal palmoni avait sans doute fait l’objet d’une élaboration. Ce qui expliquerait du coup que Paul parle de compte, mais vous pouvez aussi préférer l’hypothèse des notes de la BJ: l’esclave Onésime avait peut-être tout bêtement volé son maître. C’est vous qui voyez.

L’influence du livre de Daniel peut sembler ici hasardeuse. Je vous propose donc de la conforter par d’autres traces. Au beau milieu de la Lettre à Philémon, Paul éprouve le besoin de nous informer que celui qui va maintenant s’exprimer c’est Paul. Pourtant la Lettre commençait clairement par: Paul, prisonnier etc…Comment expliquer cette anomalie que la BJ rend par: Celui qui va parler, c’est Paul (Phm 1, 9) ? Je propose de rétrovertir le grec en: Je suis Paul, soit en hébreu : ani polos. Or une particularité du livre de Daniel, c’est qu’on y trouve près de neuf fois l’expression : Moi, Daniel (ani daniel).

En l’an III du règne du roi Balthazar, une vision m’apparut, à moi Daniel (ani daniel) (Dn 8, 1)
Moi, Daniel, (ani daniel) contemplant cette vision, j’en cherchai l’intelligence (Dn 8, 15) etc.

Comme Joseph s’exprime de la même façon lorsqu’il se dévoile à ses frères: ani yossef, les deux passages sont rapprochés. Pas simplement à cause d’une similarité d’expression, mais parce que l’histoire de Joseph marque le début de l’exil et que le livre de Daniel s’interroge sur la durée et donc sur la fin de l’exil. Mais la similarité d’expression redouble le lien. Et même le triple. Ainsi ce phelmouni, comptable celeste, est associé au terme medaber, et ce terme est aussi associé à Joseph en Gn 45, 12. En fin de compte, l’Epître à Philémon traite bien d’esclavage, mais au sens de l’exil d’Israël, et de sa fin qui coïncide avec les temps messianiques.