L’énigme Jephté
L’énigme Jephté
Jephté est un héros (gibor) et un Juge d’Israël. Un beau jour, l’Esprit saint s’empare de lui (Jg 11, 29). Son premier acte est alors de vouer le premier être humain qui sortira de chez lui au sacrifice. Malheureusement, c’est sa propre fille qui vient à sa rencontre.
• Que signifie l’histoire de Jephté ?
Jephté est un héros (gibor) et un Juge d’Israël. Un beau jour, l’Esprit saint s’empare de lui (Jg 11, 29). Son premier acte est alors de vouer le premier être humain qui sortira de chez lui au sacrifice. Malheureusement, c’est sa propre fille qui vient à sa rencontre. Le texte ne rapporte même pas le nom de la victime de cette bévue. Que vient faire cette histoire dans la Bible, et que faire de cette histoire ?
Un entendement moyen peut difficilement trouver un sens convaincant à une histoire aussi navrante. Le plus simple est donc de la considérer comme une formation midrashique. Mais la littérature midrashique ne nous est pas ici d’un grand secours, les commentaires midrashiques sur ce récit sont maigres et énigmatiques. Pourquoi le midrash associe-t-il par exemple Jephté à PinHas ? Et d’abord, PinHas pouvait-il donc être encore en vie à l’époque de Jephté ?
Il faut donc reprendre l’ensemble du récit de Jephté selon d’autres perspectives.
Nous utilisons ici une lecture fondée sur certains détails textuels. Cette méthode consiste à suivre le sens de certains verbes du texte et de voir où ils peuvent nous mener. Jephté (yiftaH) c’est en hébreu « celui qui ouvre ». Mais le récit de Jephté laisse aussi entendre plusieurs fois le verbe sortir:
• quiconque sortira (hayotsé asher yatsa) le premier des portes de ma maison pour venir à ma rencontre quand je reviendrai sain et sauf de chez les Ammonites, celui-là appartiendra à Yahvé, et je l’offrirai en holocauste. (Jg 11, 31)
• Lorsque Jephté revint à Miçpé, à sa maison, voici que sa fille sortit à sa rencontre en dansant au son des tambourins.
• Elle lui répondit : Mon père, tu t’es engagé envers Yahvé, traite-moi selon ce qui est sorti de ta bouche (yatsa mipikha)…
• Il se forma autour de lui une bande de gens de rien qui sortaient (yitsu) avec lui (Jg 11, 3).
Or ces deux verbes, ouvrir et sortir, sont souvent liés à une autre racine, celle de ‘sr (assir, un prisonnier).
Dieu …ouvre aux captifs la porte du bonheur (Ps 68,7) מוצא אסירים בכושרות
Cette racine אסר est aussi celle des vœux et des serments, or Jephté est lié par un vœu (neder) qui va causer la mort de sa fille (ou de sa maison : le terme ביתו est ambigu).
Le Midrash n’a pas beaucoup épilogué sur Jephté. Lorsqu’il le fait, c’est pour nous expliquer que, dans cette affaire, quelque chose entre Dieu et les demandes de ses sujets n’a pas fonctionné:
Gn Rabba 60,3: Quatre personnages n’ont pas formulé leur demande de manière appropriée (ke-hogan). Parmi eux, trois furent pleinement gratifiés, mais le quatrième ne le fut pas. Ce sont : Eliézer, Caleb, Saül et Jephté.
• Éliézer a dit : La jeune fille à qui je dirai … Ce sera celle que tu as destinée. Autrement dit, si une servante quelconque était sortie à cet instant et lui avait donné à boire, il l’aurait conduite au fils de son maître ! Mais le Saint béni soit-il rectifia la chose : Il n’avait pas fini de parler que sortait Rébecca (ib. 15).
• Caleb a dit : Celui qui battra Qiryat-Séphèr et s’en emparera, je lui donnerai pour femme ma fille Aksa (Jos 15,16). Par conséquent, si un esclave s’était emparé de la ville, il lui aurait donné sa fille. Mais le Saint béni soit-il rectifia de lui-même, comme il est dit : Celui qui s’en empara fut Otniel, fils de Qenaz, frère de Caleb, qui lui donna pour femme sa fille Aksa (ib. 17).
• Saül a dit : Celui qui l’abattra, le roi le comblera de richesses, il lui donnera sa fille (1S 17,25). Et donc, si un Ethiopien, un idolâtre ou un esclave l’avait frappé, il lui aurait donné sa fille. Mais le Saint béni soit-il corrigea la chose, comme il est dit : David était le fils d’un Éphratéen (ib. 12).
• Jephté a dit : celui qui sortira le premier des portes de ma maison pour venir à ma rencontre… Celui-là appartiendra à Yahvé, et je l’offrirai en holocauste (Jg 11,31). Et donc, si un âne, un chien ou un chat était sorti, il l’aurait immolé en holocauste ? Cette fois le Saint béni soit-il ne rectifia pas la chose, comme il est écrit : Lorsque Jephté revint à sa maison, voici que sa fille sortit à sa rencontre (ib. 34). Dès qu’il l’eut aperçue, il déchira ses vêtements… (ib. 35).
Pourquoi Dieu n’intervient-il plus avec Jephté comme il l’avait fait avec les trois premiers ? Le midrash ne nous le dit pas. A vous de vous débrouiller.
Tout ce que l’on entend ici, c’est que les trois premiers personnages sont aux prises avec une certaine demande (l’un d’entre eux se nomme même Shaul, son nom est « demande » en quelque sorte). Mais dans leur demande, ils ne savent plus à quel Saint se vouer, si l’on peut dire. Il sont prêts à promettre n’importe quoi, ou à sacrifier le premier venu. Alors, forcément, Dieu finit par se vexer. Il y a aussi ici d’autres idées. Par le neder (désir, demande et serment, tout à la fois) l’homme fait preuve d’imprudence. Il entre dans une relation imprudente qui implique Dieu et qui le laisse sans protection. La racine hagan est celle de la défense (hagana).
Par ailleurs, le neder introduit Dieu dans une sorte de transaction et on aurait ici l’idée de tenter Dieu pour qu’il intervienne, de forcer en quelque sorte l’intervention divine.
Dans le neder, l’action humaine devient aussi conditionnée. Si tu me donnes ceci…je te jure que je ferai cela. Dieu doit à chaque fois intervenir et faire le premier pas, mais il peut se lasser. Nous sommes peut-être ici au cœur de l’imaginaire religieux occidental. La dernière révolution religieuse occidentale, la Réforme, s’est faite en effet sur cette idée: on ne saurait avoir prise sur Dieu. Or le vœu est une tentative d’avoir prise sur Dieu.
Curieusement, lorsque le Midrash énumère les demandes imprudentes d’Eliézer, Caleb et Saül, il omet de mentionner le premier qui dans la Bible fit un vœu, et qui est Jacob lui-même. Autrement dit Israël.
Jacob fit ce vœu : Si Dieu est avec moi et me garde en la route où je vais, s’il me donne du pain à manger et des habits pour me vêtir, si je reviens sain et sauf (shavti be-shalom) chez mon père, alors Yahvé sera mon Dieu (Gn 28, 20-21)
Jephté utilise les mêmes termes: quand je reviendrai sain et sauf (beshuvi be-shalom) (Jg 11, 31). Avant même les lois sur les vœux de Nb 30, Israël s’engage collectivement dans un vœu:
Le roi d’Arad… attaqua Israël … Israël fit alors ce vœu à Yahvé : Si tu livres ce peuple en mon pouvoir, je vouerai ses villes à l’anathème. Yahvé écouta la voix d’Israël et livra les Cananéens en son pouvoir. Ils les vouèrent à l’anathème, eux et leurs villes. On donna à ce lieu le nom de Harama. (Nb 21 1-3)
Le Midrash n’aurait pu opposer à Jacob: Et donc si Dieu n’avait pas donné du pain…. car le pain et le vêtement sont une métaphore de la Loi. Jacob ne fait donc que rappeler le fondement de l’Alliance: Yahvé n’est son Dieu que parce qu’il lui donne la loi.
Noter, dans l’expression du vœu, la présence du Si…Alors.
Dans le domaine des langages informatiques
la présence de cette expression caractérise les langages de programmation.
Seul le Si…Alors permet un contrôle possible du non-humain par le langage.
Notre passage de Gn Rabba se poursuit ainsi:
Débat entre R. YoHanan et Resh Laqish. R. YoHanan a dit : (Jephté) n’était redevable que d’une contrepartie en numéraire (pour son sacrifice). Resh Laqish a dit : Il n’était même pas redevable d’une telle contrepartie. Car on nous a enseigné : Celui qui dit d’une bête impure et d’une bête défectueuse : celles-là sont pour l’holocauste, il n’a rien dit du tout. Celui qui dit : celles-là sont pour l’holocauste. Qu’elles soient vendues et qu’on apporte leur contrepartie en numéraire.
C’est ici que le midrash fait intervenir PinHas qui est, lui aussi, un héros (mais de la loi, voir l’article Imposition du Nom):
– PinHas n’aurait-il pas pu le délier de son vœu ? Mais PinHas se disait : C’est Jephté qui a besoin de moi, et moi je devrais aller chez lui ? Et Jephté se disait : Est-ce à moi qui suis à la tête des chefs d’Israël de me rendre chez PinHas ? À cause de ces deux hommes la jeune fille mourut. Comme dit l’adage : Entre la sage-femme et la parturiente, le fils de la malheureuse a trépassé. Tous deux furent punis pour son sang. Jephté mourut en perdant un à un tous ses membres (abarim): partout où il allait il perdait un membre et on l’ensevelissait sur place. En effet, il est écrit : Jephté le Galaadite mourut et il fut enseveli dans les villes (‘are) de Galaad (ib. 12,7). Il n’est pas dit : Dans la ville de Galaad, mais dans les villes de Galaad. Quant à PinHas, l’esprit de sainteté lui fut retiré, comme il est dit : PinHas, fils d’Éléazar, en avait été autrefois le chef (1Ch 9,20). Il n’est pas écrit ici : est leur chef, mais: était leur chef (quand) Yahvé était avec lui ! (ib.).
Jephté, en tant que chef militaire, aurait donc pu se faire délier de son vœu par PinHas, le Grand-Prêtre. Le midrash nous explique que les deux protagonistes ont fait preuve d’arrogance, chacun pensant que c’était à l’autre de faire le premier pas. Jephté accomplit son vœu par ignorance des dispositions complexes de la Loi orale, il pouvait très facilement être délié de son vœu. Selon le midrash, il était du devoir de PinHas en tant que Grand-Prêtre, d’indiquer à Jephté qu’il n’était pas tenu de réaliser le vœu qu’il avait prononcé.
On sait que le Midrash identifie PinHas à Elie. Il met donc en contact Jephté et Elie. Elie était lui-aussi originaire de Gil’ad. Mais cela ne fait que déplacer la question : que vient faire ici Elie ? – Elie serait celui qui doit précisément réaliser l’opération dite « matir assurim », alléger la loi/délier les vœux. Seulement Elie n’est pas venu, PinHas n’est pas allé vers Jephté. Notre passage aurait alors le sens suivant: Dieu devait envoyer le messie (et son précurseur Elie) pour alléger la loi, or il est en retard. Et donc, la faute de Jephté est due en quelque sorte au retard de Dieu.
• Retour sur le Kol Nidré
Jephté est prisonnier de son neder. Quelqu’un peut l’en délier mais ne le fait pas, d’où la tragédie. Ce serait l’un des sens du Kol Nidré. Juste avant Kipur, Israël se décide lui-même à faire le premier pas et à demander l’annulation des vœux (hatarat nedarim, c’est l’allégement des vœux) pour éviter la tragédie.
• Le mode de récitation de Kol Nidré.
La manière dont le Hazzan doit prononcer trois fois le Kol Nidré est ainsi précisée par le MaHzor de Vitry : la première fois il le prononce très doucement comme quelqu’un qui hésite à entrer dans le palais du roi pour demander une faveur et craint de s’ approcher du roi ; la deuxieme fois il peut parler un peu plus fort ; et la troisième fois un peu plus fort encore comme un familier de la cour qui peut approcher le souverain comme un ami.
Le neder ne renvoie pas à la Loi en général, mais à la loi lourde, surérogatoire (qui va au-delà de ce qui est requis). Au moment de passer en jugement, Israël demanderait à ce qu’on en reste au contrat initial: la loi écrite. On aurait ici un élément proche de la thématique de Lamentations Rabba : Dieu doit lui aussi appliquer sa Loi, et s’en tenir à la Loi. Sous-entendu : ce qui est écrit, la Tora écrite.
Lamentations Rabba se demande si l’exil est une répudiation. Il utilise souvent la parabole d’un roi qui répudie son épouse, mais l’épouse en question n’est pas inerte, elle demande l’application de la loi, et exige le respect du contrat de mariage (ketuba: l’écrit). Ce serait la raison pour laquelle, au moment du Kol Nidré, on sort les rouleaux de la Loi et donc on les porte. Israël entend bien s’afficher comme porteur de la Loi. Mais quelle loi ? La loi écrite. Car pour ce qui est de la loi orale, celle qui « sort de la bouche », c’est une autre paire de manches.
Le Kol Nidré serait, dans le Judaïsme, un élément qui pourrait faire écho, par son caractère eschatologique, à ce qui s’est déjà passé lors de la naissance du Christianisme et plus tard lors de la « révolte » qaraïte. Ce qui expliquerait la condamnation du Kol Nidré par les mêmes Gaonim qui eurent à s’opposer au mystérieux mouvement qaraïte. Ces « protestants » avant la lettre (sola scriptura) veulent bien l’Ecriture, toute l’Ecriture, mais rien que l’Ecriture (« ha-miqra » d’où Qaraïsme).
Que vienne le jour où la loi sera allegée et réduite à la loi écrite, tel serait un des sens du Kol Nidré. C’est en effet la loi « orale » (celle qui sort de la bouche) qui amplifie et complexifie ce qui concerne les vœux (traités nedarim, shevu’ot) ou certains actes surérogatoires (traité nazir).
Le qaraïte Yefet ben ‘Ali pouvait écrire : qu’il nous envoie sans tarder le maître de Justice qui ramènera le cœur des pères vers leurs fils (Ml 3,24) et abolira la mishna, le talmud et la halakha et il nous enseignera (lui-même) ses voies et nous suivrons ses sentiers (Is 2,3).
Le Kol Nidré serait peut-être une rémanence du qaraïsme, ce qui expliquerait alors que cette liturgie du Kol Nidré s’effectue en habits de deuil, on sait en effet que le deuil occupe une place centrale dans le qaraïsme. De plus, dans la tradition juive, le sujet endeuillé (onen) est exempté de l’accomplissement des commandements positifs. Je pense que vous voyez où tout cela peut conduire. Le qaraïsme lui-même ne serait que le résultat d’une énième éruption eschatologique au sein du Judaïsme.
• Le juridisme des Gaonim.
La littérature rabbinique contient de nombreux textes qui condamnent la pratique du Kol Nidré. Michel Steiner le rappelle dans l’ouvrage que nous avons recensé sur ce site.
En voici un extrait:
ואמר רב נטרונאי ז »ל אין נוהגין בשתי ישיבות ולא בכל מקום להתיר נדרים לא בר »ה ולא ביום הכפורים אלא ששמענו שבשאר ארצות אומרים כל נדרי אבל לא ראינו ולא שמענו מרבותינו שמעתא דנדרים, ואנו כבר גלינו דעתנו ופרשנו שאין לומר כל נדרי כלל, ומה מועלת ההתרה למי שמתנה לאחר נדרו שיהא בטל, וכבר שמענו מההיא שמעתא דנדרים שאין למנהג הזה שום שורש שאין מבטלין הנדרים בכך ואין בו ממש ואמר מר רב האיי גאון ז »ל בר רב נחשון גאון ז »ל דהלכה כרבא דמחמיר דהוא בתראה ואין אנו מפירין נדרים ולא נוהגין להפר בין בר »ה בין ביום הכפורים ולא שמענו מרבותינו שהיו נוהגין זה כל עיקר, אי נמי דסבירא ליה למשרי נדרא בחוטרא הוא דעבדו, ומכל אנפי לית ביה מששא בהאי מנהגא.
R. Natronaï (zal) a dit: nous n’avons pas coutume dans les deux Académies ni ailleurs d’alléger les vœux que ce soit avant Rosh Hashana ou avant Kipur. Mais nous avons entendu dire qu’ailleurs on dit le Kol Nidré. Pourtant nous n’avons jamais vu ni entendu de nos Maîtres quoi que ce soit de ce genre concernant les vœux. Nous avons déjà exprimé notre position et expliqué pourquoi il ne fallait pas dire le Kol Nidré de façon générale…. Il n’y a à cette coutume aucun fondement car ce n’est pas de cette manière qu’on annule les vœux (Je n’ai pas traduit l’intégralité de cet extrait).
Ce texte s’appuie tout simplement sur le fait que la halakha prévoit qu’on ne peut annuller les vœux que devant un Tribunal (bet-din). C’est donc un raisonnement purement juridique, auquel le Kol Nidré va opposer une autre forme de juridisme.
• Le juridisme du Kol Nidré.
Dans notre introduction à Lamentations Rabba, nous notions l’accent juridique que prenait l’argumentation midrashique face à la dureté de l’exil. C’est une dimension importante du Judaïsme qu’il ne faut pas négliger. Elle serait ici à l’œuvre. Notons d’abord que Jephté entend respecter à la lettre les dispositions du Pentateuque.
Si un homme fait un vœu à Yahvé ou prend par serment un engagement formel, il ne violera pas sa parole : tout ce qui est sorti de sa bouche, il l’exécutera (Nb 30 3)
Sa fille également observe scrupuleusement la Loi: traite-moi selon ce qui est sorti de ta bouche. Mais il se trouve que le livre des Nombres poursuit par des dispositions bien plus souples pour les femmes.
Si une femme fait un vœu à Yahvé … alors que, jeune encore, elle habite la maison de son père, et si celui-ci, apprenant son vœu… ne lui dit rien, son vœu, quel qu’il soit, sera valide… Mais si son père, le jour où il l’apprend, y fait opposition, aucun de ses vœux et aucun des engagements qu’elle a pris ne seront valides. Yahvé ne lui en tiendra pas rigueur, puisque c’est son père qui y a fait opposition (Nb 30 3-6)
De même, si le mari apprend, lors de ses noces, les vœux imprudents de sa jeune femme et ne dit rien, alors ces vœux sont valides, mais s’il s’y oppose, les voeux ne tiennent plus. Dieu pardonnera. Il en est de même de la femme veuve ou répudiée qui a fait des vœux alors qu’elle vivait encore dans la maison de son mari. Au cas où nous n’aurions pas bien compris, Nb 30,14 réaffirme: Tout vœu et tout serment qui engage la femme, son mari peut les valider ou les annuler. Dieu étant le père d’Israël ou son « mari », Israël invoquerait simplement dans le Kol Nidré cette possibilité d’annulation. Et donc, par le Kol Nidré, Israël fait entendre, non ses fautes, mais ses vœux, pour que son tuteur les annule. Ce pourquoi le Kol Nidré se terminerait par : Dieu pardonnera (yislaH). Ce « juridisme » va très loin. Si en effet, Dieu sait (« entend ») et n’annule pas, il serait fautif. En effet, si, après avoir entendu, il les annule plus tard, c’est lui qui portera le poids de la faute qui incomberait à sa femme (Nb 30, 16).
• Tous nos vœux…Les vœux de qui ?
Le Hemdat yamim, un ouvrage d’origine controversée, va jusqu’à suggérer que les vœux dont il est question dans le Kol Nidré seraient aussi et surtout ceux que Dieu a faits de punir Israël par l’exil. En effet, Dieu lui-même voudrait bien être délié de son vœu, il s’écrie: malheur à moi qui ai juré la perte d’Israël. Il conviendrait donc dans le Kol Nidré, selon le Hemdat yamim, de centrer aussi son attention sur ce vœu divin: גם על ההוא נדר או שבועה דלעילא
Le Hemdat yamim laisse entrevoir une lecture un peu particulière du récit relatif à Jephté. Jephté représenterait aussi Dieu lui-même: Juge d’Israël qui condamne sa fille unique, Israël pourtant vierge donc sans péché (ou sa « maison »: le Temple) parce qu’il aurait fait, un peu vite, un vœu…le Kol Nidré se proposerait en quelque sorte d’aider Dieu à s’en sortir.