Vigne Vierge
Vigne vierge
Le Coran traite à de nombreuses reprises du Paradis, qu’il nomme le Jardin (sauf en 18, 107 où l’on a firdous, peut-être un calque de l’hébreu tardif pardés). En ce sens il s’inscrit dans la tradition Judéo-chrétienne. En hébreu gan ‘eden, c’est le Jardin d’Eden qui devient le réceptacle des Justes à leur trépas.
• Jardins.
En Syriaque gn, gnh gnt’ c’est le Jardin et par excellence le Jardin d’Eden. Dans le Coran ce Jardin intervient près de 152 fois. Dès la Sourate 2, la bonne nouvelle est annoncée:
Annonce à ceux qui croient et pratiquent de bonnes œuvres qu’ils auront pour demeures des jardins sous lesquels coulent les ruisseaux; chaque fois qu’ils seront gratifiés d’un fruit des jardins ils diront: «C’est bien là ce qui nous avait été servi auparavant». Mais c’est (seulement) semblable ; ils auront là des épouses pures, et là ils demeureront éternellement. (2, 25)
Wa bashiri allathina amanu wa’amilu al salihati anna lahum jannatin tajri min tahtiha al anharu kullama ruziqu minha min thamaratin rizqan qalu hatha allathi ruziqna min qablu waotu bihi mutashabihan walahum fiha azwajun mutaharatun wahum fiha khaliduna
En parcourant les occurrences de ce Jardin, on voit vite qu’un élément est systématiquement associé au Jardin, ce sont les ruisseaux qui coulent sous le Jardin. nhr (ن ه ر) c’est en arabe le ruisseau et aussi le jour, cette distribution du sens provenant sans doute de l’araméen (nhr : to shine, nhr: river). Ainsi dès la seconde occurrence du Jardin en 3, 15 nous avons:
Pour les pieux, il y a, auprès de leur Seigneur, des jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, pour y demeurer éternellement, et aussi, des épouses purifiées, et l’agrément d’Allah (3, 15)
‘inda rabbihim jannatun tajri min tahtiha alanharu khalidina fiha w’zwajun mutaharatun waridwanun mina Allahi
Nous constatons qu’outre les ruisseaux, un nouvel élément est maintenant associé au Jardin: la présence d’épouses pures. L’idée nous vient alors tout naturellement de comparer ce que nous dit le Coran avec la littérature des Jardins chez les Juifs et les Chrétiens d’Orient.
Prenons par exemple le texte peu connu nommé midrash gan ‘eden. Voici comment il s’ouvre:
R. Yéhoshua ben Lévi a dit : Le Jardin d’Eden a deux entrées avec des portes de Jacynthe et sur chaque porte se tiennent 60 myriades de légions d’anges desservants, dont la face resplendit comme le firmament. Quand un juste vient vers eux ils lui ôtent les vêtements qu’il avait dans sa tombe et le vêtent des sept vêtements (certains disent huit) de la nuée de gloire, et déposent sur sa tête deux couronnes, l’une de pierres précieuses et de perles, et l’autre d’or pur et on lui met 8 branches de myrte dans la main, on prononce ses louanges et on lui dit : Va, mange avec joie ton pain (Qohélet 9,7).
Comme nous avions déjà remarqué dans le Coran un passage possiblement inspiré par un récit agadique attribué à R. Yéhoshua ben Lévi, on peut penser qu’il y a peut-être eu une circulation d’inspirations communes entre le Coran et le midrash.
Justement, le midrash gan ‘eden connaît bien les ruisseaux du Paradis: Suite de notre traduction:
On le fait entrer en un lieu de ruisseaux d’eau entouré de huit cents espèces de cèdre et de myrte et de roses, et chacun des justes a son propre dais correspondant à ses actes, comme il est dit : Car sur toute gloire il y aura un dais (Is 4, 5). Et chacun dispose de quatre rivières, une de lait, une de vin, une de baume et une de miel, et chaque dais est recouvert d’une vigne d’or portant trente perles, et chacune a un éclat brillant et splendide. Chaque dais dispose d’une table faite de pierres précieuses, et 600 000 anges se tiennent sur chaque Juste et lui disent: mange ce miel, car tu t’es adonné à la Tora, qui est comparée au miel, comme il est dit: savoureux plus que le miel (Ps 19,11)
La sourate 18, décrivant le Jardin, mentionne bien sûr les ruisseaux, désormais familiers, mais aussi les riches vêtements des hôtes de ces lieux:
Ils y seront parés de bracelets d’or et se vêtiront d’habits verts de soie fine et de brocart, accoudés sur des divans bien ornés (18, 31)
On voit donc qu’il y a bien des analogies entre le Coran et notre midrash, mais il y a une différence de taille: c’est que le Midrash laisse entendre que, même dans les fastes du Jardin, le Juste va continuer à étudier la Tora. Notre midrash se poursuit en effet ainsi:
On lui dit (au Juste): bois ce vin conservé dans le raisin des six jours de la création, puisque tu t’es consacré à la Tora, comparée au vin comme il est dit :Je te ferais boire un vin parfumé (Ct 8,2). אשקך מיין הרקח
Mais il ne s’agit pas d’une beuverie, car le contexte de ce verset nous renvoie à l’étude de la Loi:
Je te conduirais, je t’introduirais dans la maison de ma mère, tu m’enseignerais! Je te ferais boire un vin parfumé…(Ct 8,2)
Observons que dans le Coran, le terme pour vin est en général khamar, mais en une unique occasion (83, 25) le terme est raHiq. Comme vous le savez, il est difficile de traduire un hapax, puisque l’on manque de contextes pour vérifier la valeur du terme. Fort heureusement cela n’a strictement aucune importance à cause de l’arbitraire du signe. Ainsi peu de gens savent que l’hébreu gvina est un hapax (Job 10,10). Cela n’empêche pas que tous les enfants hébréophones savent dès l’âge de deux ans que gvina c’est du fromage. On pourrait certes, pour la pure gloire philologique, passer quelques années à rechercher le signifié originel de gvina, mais cela ne servirait à rien, car la place est prise, gvina sera toujours du fromage, et cela jusqu’à la fin des temps, même si c’est un fonctionnaire qui en a décidé ainsi.
Revenons à notre vin parfumé (יין הרקח) il est possible que le terme raHiq provienne de reqaH par métathèse, phénomène linguistique fréquent, surtout dans les langues sémitiques.
• Ivresse soufie
Il existe dans l’Islam, plus précisément dans la tradition soufie, l’idée que le vin dont il est question dans le Coran est le symbole d’un savoir énigmatique. Comme cela est naturel dans toutes les religions, ce qui est obscur ou caché devient vite l’indice de secrets mystiques. Ainsi en Judaïsme, Pardes en est venu à signifier savoir ésotérique. Il est vrai que le récit édénique de l’arbre de la connaissance du bien et du mal contribue à cela. Une particularité des soufis consiste par exemple dans les poèmes dits Hamiriyya qui correspondent à des états d’ivresse mystique:
Louable est mon ivresse, licite est le nectar
Dont la vigne et son fruit n’ont pas eu de part.
A la coupe divine où je portai mes lèvres,
L’unique goutte bue, en mon âme soulève
Une extase dont le feu ne s’éteindra jamais. .
L’Amour! Lorsqu’il atteint le Cœur d’un amoureux
Fait que la nuit obscure pour lui devient clarté…
(Al-Jîlânî) Trad. Roger Du Pasquier
• Intervention des Houris.
Le Coran ne nous fournit aucun indice sur un quelconque lien entre le vin et un savoir mystérieux. Il semble donc inutile de supposer une inspiration commune avec le midrash qui, lui, semble, élaborer ce type de lien.
C’est ici qu’interviennent les épouses dont parle le Coran. Plus exactement le Coran connait des personnages nommés Houris (Hurun) qui ont été la source de nombreuses controverses. Quatre sourates seulement nous parlent des Houris:
(S. 44) Et nous leur donnerons pour épouses des houris aux grands yeux. (44, 54)
(S. 52) et nous leur ferons épouser des houris aux grands yeux noirs (52, 20)
(S. 55) Ils y trouveront [les houris] aux regards chastes, qu’avant eux aucun homme ou djinn n’aura déflorées. (55, 56) Des houris cloîtrées dans les tentes (55, 72)
(S. 56) Et ils auront des houris aux yeux, grands et beaux (56, 22)
• Vierges ou vin gardé pour la fin des temps ?
Comment savons-nous que les Houris (Hurun) dont parle le Coran sont des vierges? Comment savons-nous même qu’il s’agit de femmes ? Réponse: Par nos traductions du Coran:
Des houris cloîtrées dans les tentes (55, 72)
(Hurun maqsuratun fi al khiyami )
Le verset que l’on vient de citer ne laisse aucun doute: Qui d’autre qu’une femme peut être cloitrée dans une tente ? Et comme quelques versets plus haut il nous est dit:
qu’avant eux aucun homme ou djinn n’aura déflorées (55,56
La chose est entendue: il s’agit bien de vierges offertes aux Justes dans le Jardin des délices. Un autre verset vient d’ailleurs clore la question:
Et nous leur donnerons pour épouses des houris aux grands yeux (44, 54)
Pourtant, un auteur controversé a récemment proposé de relire ce passage. Il arrive à la conclusion que le texte parle de raisin et non de vierges. Mais cette conclusion est insuffisante à nous éclairer sur la question de savoir s’il existe ou non un lien entre ce raisin et l’idée de savoir ou d’enseignement.
Il nous faut donc reprendre la question depuis le début: Comment savons-nous que les créatures nommées Hurun sont cloitrées dans des tentes (khiami) ? On peut légitimement se poser la question dès lors que l’on s’aperçoit que khiami est un hapax (voir plus haut la question du fromage). Quant au rendu « cloitrées », le verbe arabe signifie « réservé » . En araméen la racine qcr est celle de la cueillette. Il suffit alors de lire phonétiquement qiyama au lieu de khiami pour lire que ces créatures mystérieuses sont mises de coté (voire cueillies) pour la fin des temps. Or le contexte de tous ces passages sur les Houris parle de la rétribution des Justes au Paradis. Il s’agirait donc non pas de vierges, mais d’un vin particulier: un savoir conservé depuis l’origine des temps. Ce thème fréquent dans la littérature juive serait passé dans le Coran.
Gn 27, 25: Isaac reprit : Sers-moi et que je mange de la chasse de mon fils, afin que mon âme te bénisse. Il le servit et il mangea, il lui présenta du vin et il but. Le Targum Pseudo Jonathan: explique qu’un ange apporta à Jacob du vin conservé dans des raisins depuis la création du monde.
ואמר קריב לי ואיכול מצידא דברי בגין דתברכינך נפשי וקריב ליה ואכל ולא הוה חמרא גביה ואזדמן ליה מלאכא ואייתי מן חמרא דאיצטנע בעינבויי מן יומי שירוי עלמא ויהביה ביד יעקב ויעקב אמטי ליה לאבוי ושתי
• De quelques objections à notre hypothèse.
Nous répondons ici à quelques objections que l’on peut légitimement opposer à l’hypothèse des Houris comme savoir ou vin (et non comme vierges).
• Objection 1: Le texte coranique parle de défloration. Il ne saurait donc s’appliquer à des raisins (ou à du vin)
• Réponse: Le verbe arabe yatmithunna peut renvoyer au sens de rendre impur (cf. hébreu tamé)
• Objection 2: Le Coran parle de Houris aux grands yeux. Cet attribut ne peut s’appliquer qu’à des êtres humains.
• Réponse: Le Coran a le terme ‘inun qui signifie effectivement yeux. Mais les textes de l’époque jouent volontiers sur l’assonance entre ‘ayin (œil) et yayin (vin). De plus l’hébreu tardif et le syriaque ont intégré de nombreux emprunts du grec, or en grec le vin c’est oinos qui est translittéré souvent par ‘ain. Exemple : en Araméen: jarre de vin: ynwqrmyʾ
De plus le mot ‘ayin עין de l’œil forme le début de עינב le raisin.
• Objection 3: Mais le texte ne dit-il pas que ces créatures sont belles ?
• Réponse: Le texte compare ces choses à des rubis et des perles, mais c’est un lieu commun du midrash que de comparer aussi le vin à de belles choses: Ne regarde pas le vin, comme il est vermeil! comme il brille dans la coupe! comme il coule tout droit! (Proverbes 23, 31). Vous noterez que l’hébreu de ce passage a une manière curieuse pour dire briller (yiten ‘eyno: il donne son œil !). Oui, le vin a des yeux, il jette des regards effrontés et directs, telle une femme facile et provocante. Le verset comporte un qeri-ketiv sur le mot coupe (cos) terme qui est lu kis (bourse) dans une allusion à la sexualité que le midrash ne dissimule pas du tout.
• Objection 4: Le texte coranique rapproche le terme Houris du terme d’épouses, ce ne peut donc être que l’attribut d’un être humain et non d’un fruit.
• Réponse: On peut certes marier les justes aux Huris, comme le fait le Coran, mais on peut aussi les associer par paires (zwg) ou les vêtir (zwg) ou les rétribuer (rwg) en supposant la modification d’une lettre.
• Contre objection : Les dictionnaires nous apprennent que Houri vient de la racine ḥā wāw rā (ح و ر). Or voyons les formes rattachées à cette racine:
1: yaḥūra (84:14) sens de retourner qui semble devoir être plutôt rattacher à aHr,
2: le sens « spécifique » lié aux Houris et
3 : le sens majoritaire de disciples (l-ḥawāriyūna cf. 3,52; 5,111;5,112;61,14). Or ce sens de disciple serait plutôt à rattacher à Hbr (Haber) ce qui nous reconduirait au contexte de l’étude et du savoir.
Devons-nous donc renoncer définitivement à nos vierges ? – Eh bien pas du tout ! En effet par un retournement surprenant, dont le midrash a le secret, on va voir que le Coran est fondé à parler de vierges.
• Le retour des vierges.
C’est que les choses ne sont pas si simples. Nous serions en présence de matériaux midrashiques d’origine juive, or le midrash juif établit une relation entre le vin et les vierges. Par exemple quand le midrash explique ce verset du Cantique des Cantiques: TES AMOURS SONT PLUS DÉLICIEUSES QUE LE VIN, il énonce d’abord: Les paroles de la Tora se ressemblent, ce sont des compagnes proches (dodim), elles sont étroitement apparentées.
Commentant: ET VIN EN ABONDANCE, le midrash nous dit: il s’agit de vierges, comme il est dit : et le vin doux, les vierges (Zacharie 9, 17). כי מה טובו ומה יפי ודגן בחורים ותירוש ינובב בתלות
Noter que ce verset rapproche le vin des vierges, mais qu’il contient aussi le terme baHurim (jeunes gens/élus). Or cette sonorité est celle des passages coraniques parlant des Houris: Le terme Houris intervient en effet deux fois seul (Hurun) et deux fois avec la conjonction bi (dans) bi-Hurin (biHurin ‘inin). Il se trouve que l’araméen semble convoquer les mêmes signifiants: Ainsi nous avons vu que le vin brille (il donne son œil): or bHr signifie briller (voir Jastrow 156). Nous parlions de vin conservé pour la fin des temps or bHr signifie aussi en araméen « après » « à la fin ».
Mais tout cela ne serait que pure spéculation tant que nous pourrons pas trouver dans un dictionnaire araméen ou hébreu le terme Houri. Or, nous le trouvons. Cela se trouve à la page 452 du dictionnaire Jastrow. Ce terme c’est חיוריין qui signifie vin et qui peut parfaitement se lire Hurin. Ce dictionnaire nous donne une autre prononciation de ce terme : Hivaryayin: Le terme qui précède est Hivar qui signifie blanc. C’est donc un vin qui avait perdu sa couleur, son éclat. En syriaque ḥʾyr c’est le « regard », donc tout cela est très construit et on reste dans notre ensemble de signifiants.
Résumons: la séquence coranique Hurun ‘inun serait un calque phonétique de Hivaryayin. Le Coran est donc fondé d’une certaine façon à parler de vierges, mais seulement dans le sens ou le midrash d’emprunt établit un rapport (midrashique) entre vierges et vin. Or ce sens existe et concerne l’allégement de la Loi. Dans le midrash juif, le vin c’est la loi. Le vin gardé pour les Justes de la fin des temps est une loi allégée.
• Le Paradis chez Ephrem le Syrien.
Nous avons comparé le contenu du Paradis coranique aux textes juifs, mais qu’en est-il des textes chrétiens de l’époque immédiatement pré-coranique? Ephrem le Syrien a composé par exemple un imposant Hymne au Paradis. Dans cet Hymne, la sexualité est massivement présente mais d’une manière inattendue: négativement présente. Elle est transfigurée.
Les mouvements des sens que la honte entachait sont réduits au silence et de la convoitise Les sources obstruées ; La fièvre anéantie; l’âme purifiée comme un blé sans ivraie en l’Eden grandit.
L’élément qui triomphe en Eden c’est la virginité. Les femmes rajeunissent et les traces de la malédiction des enfantements sont effacées.
En Récompense des bonnes œuvres, comme l’aumône aux pauvres, les Justes reçoivent une nourriture infinie:
Les biens de ce lieu-là Réjouissent les femmes Qui connurent fatigue au service des saints : Elles y voient la veuve Qui accueillit Élie, Savourer elle aussi les délices d’Éden, Et au lieu des deux sources Dont elle eut sa pitance – La jarre et la cruche – Les branches des arbres Donnent dans l’Éden nourriture À ces femmes qui nourrirent les pauvres.
L’Eden est donc bonheur et paix
Personne n’y travaille, Car aucun n’y a faim. Nul n’y connaît la honte, Car personne n’y pèche ; Non plus que repentir, Car point de pénitence. Les turbulents y sont En paix et en repos. Personne n’y vieillit, Car personne n’y meurt. On n’y enterre point, Car nul n’y met au monde. Ils n’ont pas de souci, Ils n’ont pas de souffrance. Ils n’ont pas de terreur, Car ils n’ont pas de piège. Ils n’ont pas d’ennemi, Ayant fini la lutte. Eux-mêmes , à toute heure, Se disent bienheureux. Leurs combats Ont cessé. Ils ont pris leurs couronnes, Ils ont en leurs demeures obtenu le repos.
Mais, même dans cette félicité, Ephrem garde l’idée rabbinique de rétribution. Chaque être jouit de l’Eden à proportion de ses mérites. Le principe « mesure pour mesure » (mida keneged mida) reste en vigueur:
C’est selon qu’ici-bas chacun rend pur son œil
qu’il pourra contempler la gloire du Très-Grand.
C’est selon que chacun ouvre ici ses oreilles
qu’il pourra accueillir la Sagesse de Dieu !
C’est selon que chacun rend large ici son cœur
qu’il pourra pour sa part recevoir ses trésors !
Car avec mesure le Seigneur sans mesure alimente chaque être,
L’Hymne au Paradis fait aussi une place éminente à Marie, la Vierge efface en effet le péché d’Eve. Mais il en ressort que le signifiant « vierge » est intimement lié au Paradis. On peut même dire que la Vierge est le Paradis. De même le vin y joue un rôle essentiel:
La vigne vierge donne une grappe d’un vin doux.
Par lui furent consolés de leurs afflictions
Ève et Adam qui étaient tristes
Ils goutèrent le remède de vie
et par lui Furent consolés de leurs afflictions
• Pourquoi le vin est-il interdit dans le Coran ?
Si l’Islam a subi les influences textuelles du judéo-christianisme, pourquoi se distingue-t-il de ces religions par la prohibition du vin? Dans la description midrashique du Paradis nous avons noté la présence de quatre ruisseaux (vin, lait, miel, baume) qui renvoient à Gn 2, 10: Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre bras. Nous retrouvons ces ruisseaux dans le Coran:
Voici la description du Paradis qui a été promis aux pieux: il y aura là des ruisseaux d’une eau… et des ruisseaux d’un lait au goût inaltérable, et des ruisseaux d’un vin délicieux à boire, (waanharun min khamrin) ainsi que des ruisseaux d’un miel purifié, (47,15)
Le terme khamr خ م ر proviendrait de l’araméen Hmr, la prononciation kh (خ) étant proche de la prononciation H (ح). Mais si le Hamra est devenu khamra, est-ce que le khamra des versets qui prohibent le vin n’a pas subi d’autres déformations ou élaborations?
Dans la Sourate 5 (Al-Maaida) on trouve les deux principaux versets qui interdisent le vin alors que cette sourate complexe traite notamment de la fin de certains interdits alimentaires:
O les croyants! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu’une abomination, œuvre du Diable. Ecartez-vous en, afin que vous réussissiez. (5, 90) Le Diable ne veut que jeter parmi vous, à travers le vin et le jeu de hasard, l’inimitié et la haine, et vous détourner d’invoquer Allah et de la Salât… (5, 91)
Pourquoi le vin est-il ici lié à une série d’éléments qui évoquent plutôt l’idolâtrie ? Supposons que le texte parle de divination astrale et d’astrologie, dans ce cas, il est possible que nos versets parlent en réalité de qmr (signes du zodiaque) et non de khamar. Comme le qof est proche du khaf, l’erreur est au moins envisageable. L’arabe coranique connaît bien cette racine, puisque c’est celle de la lune : qāf mīm rā (ق م ر): lune
De quoi en effet le verset 5, 90 demande-t-il au croyant de s’éloigner ? de quatre choses: 1. al khamru 2. wa al maysiru 3. wa al ansabu 4. wa al azlamu qui sont qualifiées de rijsun. Le verset s’adresse au croyant. En quoi le vin concerne-t-il la croyance en un Dieu unique ? Voyons quelles sont les trois autres abominations qui menacent le croyant :
1. maysiru (les supposés jeux de hasard) est rattaché à la racine yā sīn rā (ي س ر). Nous postulons qu’il faut plutôt rattacher ce mot à la racine arabe de la magie sīn ḥā rā (س ح ر) qui proviendrait elle-même de la magie hébraïque Hrs (par métathèse).
2. Le terme ansabu est rattaché à la racine nūn ṣād bā (ن ص ب). Il proviendrait de l’araméen mṣb : stéle, statue (Jastrow :matseba, statue)
3. Le terme azlamu (les supposées flèches divinatoires) est rattaché à la racine zāy lām mīm (ز ل م). Il proviendrait de l’araméen ṣlm, ṣlmʾ (ṣlem, ṣalmā) : image. (hébreu : tselem)
Tous ces termes concernent l’idolâtrie et menacent effectivement le croyant. Ce sont des abominations : le terme rijsun rattaché à la racine rā jīm sīn (ر ج س) serait une déformation de l’araméen šqwṣ : abomination (le shiquts du Livre de Daniel)
Le 4e terme, le qamar zodiacal, trouve tout-à-fait sa place dans cette série, alors que le vin semble y figurer en intrus. Il reste donc à expliquer la prohibition du vin en Islam autrement que par le Coran.