Virginité, noirceur, arrogance
Virginité, noirceur et arrogance
On a beaucoup parlé, du temps de Jean Paul II, de la Vierge noire de Częstochowa. Les Vierges noires sont des représentations étonnantes de la Vierge Marie qui tirent leur nom de leur couleur sombre, souvent limitée au visage et aux mains. La plupart d’entre elles se rencontrent dans le bassin méditerranéen avec une concentration importante dans le sud de la France où on en compte 180 sur les 400 à 500 vierges noires.
• Vierges noires.
Selon l’Église catholique, il n’existe aucun fondement théologique à la couleur de ces Vierges. L’explication traditionnellement avancée, c’est que ces statues n’étaient pas noires à l’origine mais qu’elles le sont devenues à cause des dépôts de suie provenant des bougies votives. Cette théorie officielle est très séduisante et même progressiste (on ne nait pas noir, on le devient) mais elle n’explique pas pourquoi dans ce cas toutes les statues exposées aux suies ne sont pas devenues des Vierges Noires. Il semble qu’il faille adopter l’idée que ces statues étaient noires à l’origine. Mais pour quelle raison ? Le choix de cette couleur relevait sans doute d’une tradition orale ce qui rapproche ce choix d’un midrash. Marie représente le peuple juif dans ses deux états: la révolte et donc la noirceur des péchés, mais aussi la repentance (si miriam reconnaît ses péchés, adopte le vrai messie, en un mot si elle devient chrétienne). Or cette oscillation est celle du Cantique des Cantiques 1,5: je suis noire et belle (sheHora ani ve-nava).
Dans la polémique entre juifs et chrétiens ce thème de la noirceur a été très utilisé dès l’origine. Le Targum du Cantique des Cantiques par exemple établit un lien explicite entre noirceur et péchés: Quand le peuple d’Israël fit le veau d’or, son visage s’obscurcit comme celui des fils de Kush (les Ethiopiens) qui habitent dans les tentes de Kédar. Il s’agit donc d’une couleur toute midrashique (vous ne la retrouverez pas dans la gamme Pantone). Cette couleur midrashique est rapprochée de la révolte. Cantique Rabba 1,34 commente le mot noire en le référant longuement à la révolte: NOIRE : sur les bords de la Mer Rouge, ainsi qu’il est écrit : Ils furent rebelles près de la mer, près de la Mer Rouge (Ps 106, 7)NOIRE : à Mara, ainsi qu’il est écrit : le peuple murmura contre Moïse, en disant : Que boirons-nous ? (ib. 24) etc.
Cette couleur est aussi associée à l’arrogance (à l’origine du péché) et au mépris (Ne me méprisez pas à cause de mon teint noir, le soleil m’a brûlée). Or on se souvient que Marie/Miriam méprisa la femme de Moïse qui était kushite (Ethiopienne). Il semble que ces passages ont été repris pour parler de rivalité entre juifs de souche et judéo-chrétiens d’origine païenne. En parallèle avec la rivalité entre Sara et sa servante Agar (une égyptienne selon le midrash). Ct R 1,40 se fait l’écho de cette polémique: R. Isaac ajouta : Une dame avait une servante éthiopienne. Celle-ci descendit avec son compagnon pour puiser de l’eau à la source. Elle dit à son compagnon : Demain mon maître va divorcer avec son épouse et m’épouser. Et l’autre de lui demander : pourquoi ? Elle lui répondit : il a vu que ses mains sont toutes sales. – Ô femme stupide, lui dit l’autre : pense à ce que tu dis. Il aime excessivement son épouse, et tu dis qu’il va la répudier parce qu’une fois il l’a vue les mains sales. Comment alors te supportera-t-il, toi qui es sale de partout et noire depuis ta naissance ! De même lorsque les autres peuples raillent Israël en disant : cette nation s’est dégradée elle-même, ainsi qu’il est écrit : ils échangèrent leur gloire pour l’image du bœuf mangeur d’herbe (Ps 106, 20), Israël leur répond : si nous, qui avons péché une seule fois, avons été autant punis, combien plus lourde sera votre punition ? Israël dit aussi aux Nations : Je vais vous dire à quoi on peut nous comparer : à un prince qui quitta sa ville pour le désert. Le soleil lui brûla le crâne de sorte que son visage en devint tout basané. Mais quand il revint chez lui, un peu d’eau et un brin de toilette lui firent retrouver son aspect. De même pour nous, le soleil des idoles peut nous avoir brûlés, mais vous, vous êtes basanés depuis le ventre de vos mères, vous avez servi des idoles dans le ventre de vos mères ; car, quand une femme est enceinte, elle entre dans le temple idolâtre et se prosterne devant l’idole et son enfant avec.
• Tours et cheveux
Toutes les Marie des Evangiles sont la même Miriam, sœur de Moïse, et figure de la révolte contre Dieu. Nous avons vu dans Un Etranger sur le toit, que lorsque Jésus guérit Marie de ses 7 démons, cela signifie qu’il vient au comble de l’Idolâtrie (sheva’= 7= satiété=comble) sauver les juifs et les païens. Il existe une autre élaboration dans les Evangiles autour de Marie de Magdala, devenue Marie-Madeleine. On a compris pourquoi Marie était mise en rapport avec des démons : il faut que les juifs soient à la fin des temps aussi idolâtres que les païens, sinon le messie ne peut arriver. Mais pourquoi faut-il que Marie soit aussi associée à une tour ? C’est d’abord que la tour est elle-même associée à la révolte (la tour de Babel) à l’arrogance et à la Hauteur. Marie sera donc de Magdala car migdal signifie Tour. Jérôme dans ses lettres parle de Marie-Madeleine en liaison avec une tour: Magdalena Turrita. Ouvrons un vieux Gaffiot : turritus, a, um : – 1 – muni de tours, garni de tours. – 2 – surmonté d’une tour – 3 – qui porte une tour (en parl. d’un éléphant). – 4 – qui porte une couronne crénelée. Exemples: Turrita dea (mater) : la déesse dont le front est couronné de tours (= Cybèle). – turrita corona, Luc. : coiffure en forme de tour. Curieusement la tour est associée à la coiffure dans un dictionnaire Latin. On sait par la numismatique romaine que les provinces sont souvent représentées par des femmes coiffées d’une tour.
Par exemple, sur cette pièce de monnaie, on a une représentation de la ville d’Ephèse en Diane coiffée du Pollos en forme de tour. Notre dictionnaire connaît aussi un autre couvre-chef : le tŭtŭlus, i, m. : – 1 – bonnet de laine en forme de cône, porté par les flamines. – 2 – Varr. coiffure de femme, très élevée et de forme conique. Porter une tour sur la tête semble donc être chose banale dans le monde romain. Dans le monde grec, Purgophoros (qui porte une tour) se dit d’une dame à la coiffure élaborée. Il semble qu’il s’agisse ici d’un symbole de force et de sécurité. Le tutulus aurait un lien avec le terme tūtus, a, um : part. passé de tueor. – 1 – défendu, garanti, en sûreté, à l’abri de. – 2 – sûr, où l’on est en sûreté, à quoi on peut se fier. – 3 – qui a l’esprit tranquille, qui n’a pas de crainte. – 4 – qui est sur ses gardes, craintif, prudent, circonspect, sage. Le midrash reprocherait donc au peuple juif de mettre sa confiance en des remparts et des tours plutôt qu’en Dieu. Isaïe, on l’a vu, reproche aux Judéennes leur arrogance:
Yahvé dit : Parce qu’elles font les fières, les filles de Sion, qu’elles vont le cou tendu et les yeux provocants, qu’elles vont à pas menus, en faisant sonner les anneaux de leurs pieds (Is 3, 16)
Dans la Bible on a souvent chanté les pharisiennes, mais ce n’est pas le cas dans ce passage d’Isaïe. Le châtiment de cette arrogance, apparaît dans le verset qui suit:
le Seigneur rendra galeux le crâne des filles de Sion, Yahvé dénudera leur front.
Ce que nous dit ce verset c’est que toute cette hauteur se terminera par une mise à nu, un dévoilement, une apocalypse (nigla) un rasage (galaH) et un exil (galut). Curieusement, notre dictionnaire latin nous indique que tĭtŭlus, c’est aussi: 1- inscription, écriteau (au cou d’un esclave, d’un condamné), – 2 – affiche de vente. – 3 – titre (d’un livre), intitulé (d’un chapitre).
Les deux élaborations autour de Marie se rejoignent donc autour de l’arrogance comme péché capital des Juifs. Le Midrash juif tardif retournera en bloc ce type d’élaboration contre le christianisme. Jésus devient lui-même idolâtre: il se prosterne devant une brique. Il est lui-même arrogant car il contredit ses maîtres. Enfin sa mère devient une coiffeuse pour dames (megadelet sha’ar) ce qui peut s’entendre comme celle qui agrandit les cheveux ou bien comme celle qui agrandit la porte (la conversion des païens).