Moïse et Elie
Moïse et Elie
Les Evangiles font se rencontrer Elie et Moïse. Ils organisent une sorte de sommet entre Elie, Moïse et Jésus: Et voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui (Jésus) (Mt 17,3). Le Coran reprend cette opération.
• Le récit coranique.
Moïse se trouve mis en présence d’un personnage désigné comme un serviteur de Dieu ayant reçu une science particulière. Ayant demandé à cet homme de l’accompagner pour recevoir de lui quelques éléments de cette connaissance divine, Moïse s’entend répondre qu’il lui sera impossible de supporter ce qu’il verra et ne pourra comprendre. Après avoir promis d’être patient, il est autorisé par le serviteur de Dieu, à le suivre, à condition de ne l’interroger sur rien; tous deux s’embarquent sur un navire, et l’inconnu y fait une brèche au risque de faire naufrage; puis il tue un adolescent rencontré au hasard; par contre, dans une localité dont les habitants refusent aux voyageurs l’hospitalité, il étaye un mur qui allait s’écrouler. A chaque incident, Moïse, s’indigne et oublie ses promesses, interroge son compagnon sur les causes de son comportement; après le troisième épisode, le serviteur de Dieu lui donne son congé, mais lui explique les fondements cachés de ses actions : le bateau appartenait à de pauvres gens, et il aurait été saisi par un roi injuste s’il n’avait été providentiellement endommagé; l’adolescent était le fils de parents pieux, qu’il aurait tenté d’amener à l’infidélité et à la révolte contre Dieu; quant au mur, il appartenait à deux jeunes orphelins, dont le père avait enfoui un trésor; la grâce de Dieu leur réservait de le découvrir eux-mêmes au jour choisi.
• Le Récit agadique.
Rabbi Yéoshua b. Lévi avait sollicité de Dieu, par de longues prières et un jeûne rigoureux, la grâce de rencontrer le prophète Elie; il fut exaucé et Élie lui apparut; le Rabbi lui demanda seulement de l’autoriser à le suivre pour observer ses actes et ainsi s’instruire à son contact; Elie lui répondit : Je crains que tu ne puisses pas supporter longtemps ce que tu verras dans mes actes. Il n’accepta que quand R. Yéhoshu’a eût promis de ne rien faire qu’observer en silence sans jamais demander d’explication; le Prophète Elie et le Rabbi se mirent donc en route. Un pauvre homme, qui ne possédait pour toute richesse qu’une vache, les accueillit avec empressement; le lendemain matin, Elie pria afin de faire mourir l’animal. Un peu plus tard, un homme riche les reçut sans égards et pourtant Élie par ses prières consolida un mur de sa propriété. Dans un village opulent où nul ne voulut les recevoir, Élie souhaita à tous les habitants de devenir des chefs. Enfin dans une localité, où ils furent bien reçus, le prophète souhaita aux gens du pays : Dieu fasse que cous n’ayez qu’un seul chef. Yéhoshua ben Levi finit par perdre patience et se laissa aller à demander des explications ; avant de le quitter, Élie lui dit que, s’il avait fait mourir la vache du pauvre homme accueillant, c’était par une grâce de substitution, car à l’origine il était arrêté qu’en ce jour c’était sa femme qui devait mourir; si l’homme riche et avare avait réparé son mur lui-même, il aurait découvert un trésor dont il valait mieux qu’il n’eût pas le bénéfice; s’il avait souhaité aux villageois inhospitaliers de devenir tous des chefs, c’était afin qu’ils se querellassent constamment « car toute association dont les chefs sont nombreux est appelée à disparaître, alors qu’aux autres il avait souhaité un seul chef pour qu’ils fussent dirigés avec sagesse.
• Une variante byzantine.
Dans cette version, on explique au vieillard pourquoi il a gravement porté préjudice à des hommes qui leur avaient accordé l’hospitalité et vivaient pieusement, alors qu’à l’inverse il a rendu service à un méchant. Au premier de leurs hôtes, l’ange avait dérobé une coupe : elle provenait d’un héritage injuste et eût suffi à faire perdre à cet homme par ailleurs irréprochable fruit de toutes ses bonnes actions. Du second non moins hospitalier et vertueux, l’ange avait, plus cruellement, étouffé le fils : si cet enfant avait vécu, il serait devenu l’instrument de Satan au point qu’auraient été oubliées les œuvres pieuses de son père; en le tuant, l’envoyé de Dieu sauvait son âme, avant qu’il eût péché, et préservait les mérites du père malheureux. Par contre, chez le troisième homme visité, bien qu’il fût « une peste », uniquement soucieux de nuire, l’ange avait réparé un mur qui menaçait ruine : sous ce mur, lors de la construction de la maison le grand-père du propriétaire avait dissimulé un trésor; eût-il lui-même relevé la paroi, le méchant eût trouvé ces richesses, dont il eût fait le plus mauvais usage; pour la troisième fois l’esprit n’était intervenu que pour empêcher le pire. En conclusion l’ange rappelle au moine la sentence du psaume 36 « les jugements du Seigneur sont un abîme immense » et renvoie à sa cellule le vieillard, qui rentre en lui-même et glorifie Dieu.
• Le tradition musulmane sur le récit de Moïse et Elie.
L’exégète Râzî rapporte le fait que la présence de Moïse dans le récit coranique a étonné la tradition au point qu’une partie des traditionnistes ont refusé de penser qu’il s’agissait du Moïse de la Tora:
Ceux qui ont soutenu que ce Moïse est autre que celui de la Thora, avancent l’argument suivant : il est inconcevable que le Très-Haut, après lui avoir révélé la Thora, après lui avoir parlé sans intermédiaire et confondu ses adversaires par des miracles impressionnants et grandioses qu’il n’a pas été donné à un grand nombre de prophètes d’accomplir; il est inconcevable qu’après tout cela, iI envoie ce même Moïse pour recevoir une leçon…
La plupart des savants sont d’accord pour considérer que Moïse cité dans ce verset est bien Moïse b. ‘Imrân, auquel sont attachés des miracles éclatants et la Thora… Al-Qaffâl a soutenu cette thèse selon laquelle ce Moïse est bien celui de la Thora, en indiquant que Dieu ne mentionne Moïse dans Son Livre, que pour désigner le dépositaire de la Thora… S’il avait visé un autre personnage portant le même nom, il l’aurait nécessairement défini par un trait qui l’aurait distingué et aurait levé l’ambiguïté.
Certes, Razi ne connaît pas l’origine midrashique du récit coranique et, a fortiori, le fait que le héros midrashique se nomme Yéhoshua ben Lévi, mais curieusement il rapporte que Moïse était accompagné d’un serviteur nommé… Yéhoshua:
On a divergé au sujet du serviteur de Moïse, beaucoup considèrent qu’il s’agit de Yûsha’ b. Nûn (compagnon et héritier spirituel de Moïse)… ; d’autres disent que c’est le frère de Yûsha’… ; une autre position veut que lorsque Moïse reçut les Tables et la communication de Dieu, il demanda : « Qui m’est supérieur et est plus savant que moi ?» — Un serviteur (‘abd) de Dieu qui habite les îles de la mer et se nomme Al-Khidr, lui fut-il répondu… (Râzî 5, 492).
• Pourquoi le Coran en vient-il, dans les sourates 18 et 19 à avoir recours à de vieux midrashim juifs repris par des apocryphes chrétiens, au point de décontenancer les exégètes musulmans ? Nous avons tenté de répondre à cette question pour ce qui est du bicornu et des Jeunes gens de la Caverne dans l’article « Moïse et Alexandre ». Il nous faut maintenant répondre à la question: pourquoi faire se rencontrer Moïse et Elie ?
Pour répondre à cette question, il nous faut passer par l’analyse de la Sourate 19 qui fait suite à celle de la Caverne.