L’intendant infidèle
L’intendant infidèle.
Les explications habituelles de cette péricope sont peu convaincantes. Cet intendant est-il réprimandé ? (tu ne peux plus gérer mes biens désormais…) ou au contraire félicité ? (et le maître loua cet intendant malhonnête…). Tout cela est bien embrouillé. Quelle est le sens de ce passage ?
Lc 16.1 – Il disait encore à ses disciples : » Il était un homme riche qui avait un intendant, et celui-ci lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. 16.2 – Il le fit appeler et lui dit : « Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends compte de ta gestion, car tu ne peux plus gérer mes biens désormais. « 16.3 – L’intendant se dit en lui-même : « Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Piocher ? je n’en ai pas la force ; mendier ? j’aurais honte… 16.4 – Ah ! je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois relevé de ma gérance, il y en ait qui m’accueillent chez eux. » 16.5 – » Et, faisant venir un à un les débiteurs de son maître, il dit au premier : « Combien dois-tu à mon maître ? » – 16.6 – « Cent barils d’huile », lui dit-il. Il lui dit : « Prends ton billet, assieds-toi et écris vite cinquante. » 16.7 – Puis il dit à un autre : « Et toi, combien dois-tu ? » – « Cent mesures de blé », dit-il. Il lui dit : « Prends ton billet, et écris quatre-vingt. » 16.8 – » Et le maître loua cet intendant malhonnête d’avoir agi de façon avisée.
En Isaïe 22, 19 nous lisons :
Je vais te chasser de ton poste, je vais t’arracher de ta place.
Le poste (ou la charge) en question a été traduit en grec par oikonomias. En hébreu, le terme est matsav qui ressemble à mitsva (commandement). C’est ce terme oikonomias que nous trouvons ici. L’intendant (‘al habayit) avait une charge. Cette « charge » semble bien ici être la loi. Sachant qu’il va se voir retirer cette charge, notre homme s’empresse de distribuer les “biens de son maître” (les commandements), et cela lui est crédité. Cette « dilapidation » est décrite comme un allégement de la dette, ou du “devoir”.
Il s’agirait donc ici, plutôt que d’une petite fable, au demeurant moralement ambiguë, d’une réflexion sur l’exil d’Israël parmi les Nations. Israël a été puni de l’exil, parce qu’il ne prenait pas soin des biens de son maître (la loi divine). Il met alors à profit cet exil pour disséminer parmi les nations cette même loi, ce qui lui vaut cette fois la reconnaissance du Maître. Disséminée, la loi est en même temps allégée, ce qui vaut également à Israël les faveurs de ceux qui le « reçoivent chez eux » (les païens au sein desquels il est exilé). (L’idée que la diffusion de la loi marque son allégement parcourt tout le Nouveau Testament. Exemple: Une fois rassasiés, on se mit à alléger le navire en jetant le blé à la mer (Ac 27,38).
L’intendant est donc sagace, il profite de la punition, inévitable, pour inverser la situation et se faire bien voir du Maître. Il reste donc l’intendant. Ce serait le sens de Lc 16,18 qui conclut le passage et dont personne ne sait que faire:
Tout homme qui répudie sa femme et en épouse une autre commet un adultère, et celui qui épouse une femme répudiée par son mari commet un adultère.
L’alliance entre Dieu et son peuple est une union indestructible. L’exil n’est pas une répudiation.
Texte extrait de l’ouvrage « Un étranger sur le toit » de Maurice MERGUI